mercredi 14 septembre 2011

Nelly Arcan revient hanter Guy A. Lepage

14 SEPT. 2011 Dans une nouvelle (récit) inédite et en partie fictive par définition (on peut en douter considérant les détails), Nelly Arcan, plusieurs mois après son suicide, revient hanter Guy A. Lepage, l'animateur de Tout le monde en parle, bien connu au Québec.

Nelly Arcan, 2004-2005. Source: extrait de
la jaquette d'une édition du livre Folle, paru
au SEUIL (édition de 2005 ?)
L'auteure Nelly Arcan (Isabelle Fortier de son vrai nom) avait écrit une nouvelle non diffusée qui se retrouve sur son site posthume et dans laquelle on peut lire un récit facilement associable à son passage à l'émission Tout le monde en parle, en septembre 2007. Je me souviens vaguement de cette entrevue, sinon que Nelly en ressortait comme une auteure à controverse, ex-prostituée qui assumait ce passage de sa vie, comme un simple emploi dans un café-terrasse, par exemple. On retenait que selon elle, les autres femmes mettant moins l'accent sur leurs charmes étaient des sous-développées ou sous-assumées (des "larves"). Pourtant, ce n'était plus ce que Nelly voulait véhiculer. C'était ce dont elle voulait se dissocier; une Nelly immature. Et ces anciennes déclarations étaient probablement des moyens de défense contre celles qui jadis, la jugeait, alors qu'elle se cherchait elle-même. Elle n'y était pas préparée, à ce type de questions de Tout le monde en parle (sept. 2007) et c'était les mots qu'on lui collait sur un corps construit qu'elle n'assumait plus aussi bien, ou dont elle sous-estimait l'image d'elle-même qui en resterait.

Quelques extraits choisis. Nelly parle d'elle-même à la troisième personne (comme "elle", "Nelly"):

Toutes les questions avaient un noyau de haine. « On dit que dans les entrevues, vous parlez davantage de vos photos que de littérature. »  La haine dans ses questions lui entama le visage qui s’ouvrit comme un livre où son âme s’était donnée à lire, péché télévisuel entre tous. Être lue en dehors du jeu, en dehors du théâtre, en dehors du cinéma, revient à être humiliée, à laisser échapper de soi les articulations de la décontenance derrière l’opacité, l’aristocratie du masque social. Elle perdit la face, tandis que son décolleté remontait à la surface.   
« Au mois de septembre de l’an 2001, vous avez dit que, dans le monde, il y avait d’un côté les putes et de l’autre les larves. Avez-vous peur de devenir une larve ? »  Nelly était donc une pute, et bientôt son âge ne lui permettrait plus de l’être. Elle deviendrait alors une larve. Il n’y avait rien à répondre à cela. Et les questions se suivaient, pareilles dans leur intention d’écrasement, où se trouvait toujours en jeu son effronterie à affirmer des choses qu’elle ne pensait pas, car elle ne savait qu’écrire. (extrait de La Honte)
Ce que Nelly a perçu comme de la haine était probablement en fait de la gaminerie, de ces hommes qui sont encore des adolescents à 30, 40 ou 50 ans et plus. Je me souviens avoir été méchant quand j'étais adolescent et même jeune adulte. C'était de la taquinerie à mes yeux, mais une attaque pour la victime en train de construire son identité, comme un texte que je regrette avoir écrit à la craie sur l'asphalte de ma rue quand j'avais environ 11 ans. Ce qu'on a pu être cons des fois. Certaines amitiés sont avortées (non nées) à cause de propos insensés. Nelly ajoute:

Ce dont elle souffrait faisait partie des choses que l’on ne connaît pas. Elle souffrait de ce que  l’on ne peut pas savoir. Elle aurait aimé croire en Dieu pour que Dieu se charge de savoir ces choses-là à sa place, pour qu’Il évacue la question de sa propre existence, pour qu’Il trouve un rôle, et donne une valeur, à sa douleur. Les souvenirs de l’émission étaient brutaux, et nombreux. À un moment elle vit les regards durs des autres invités et elle sentit le silence traversé par la voix nasillarde de l’homme debout, la cristallisation du petit public autour d’elle, que l’on invitait d’une pancarte à applaudir ou à rire. (extrait de La Honte)

Quoique l'écrit soit, dit-on, du genre littéraire nouvelle, donc (en français, différent du concept anglais de roman) un court récit qui peut être en tout ou en partie fictif par définition, personnellement, j'y vois plutôt une réflexion autobiographique non publiée, classée par d'autres comme appartenant au genre littéraire de la nouvelle. Peut-être pour éviter des poursuites judiciaires... Nelly, elle, y précise ce à quoi elle s'attendait, et ce qu'elle a vécu à son passage à l'émission:

Pendant deux mois elle avait préparé cette émission, avait failli annuler au moins dix fois sa participation. Souvent elle et son attachée de presse avaient pesé le pour et le contre d’une telle apparition, les risques et les gains. Elles avaient conclu que le jeu en valait la chandelle, au niveau des ventes du livre. Puis Nelly s’était entraînée, le corps et aussi la tête, avait pensé et répondu à toutes les questions probables et improbables. Mais la formulation de questions et de réponses n’avaient rien à voir avec l’expression d’un visage, le ton d’une voix, la stature du grand singe rivé à la dérision nasillarde, inscrite sur des petits cartons, qui lui était adressée de façon personnelle, ciblée.  
« En 2004, vous avez affirmé, lors de votre passage aux Francs Tireurs, que votre seul but, quand vous sortiez dans les bars, était d’être regardée par les hommes. Que faites-vous quand vous sortez dans un bar et que les hommes regardent une autre femme ? »  Cette pierre lancée l’écorcha en la couvrant de ridicule. Nelly ne sortait plus dans les bars depuis des années et elle n’avait qu’un souvenir flou de son passage aux Francs Tireurs, étant fortement médicamentée à cette période de sa vie où elle ne cessait de faire des allers-retours entre son lit et les urgences psychiatriques de Montréal. (extrait de La Honte)

L'émission Tout le monde en parle diffusée les dimanches soirs à la SRC (saisons automne, hiver, printemps) est peut-être victime de son style imprévisible.

Pour en revenir à Tout le monde en parle

Il faut comprendre que le ton de l'émission est tantôt "friendly" pour les uns, tandis que les autres s'y font attaquer, parfois démolir de front. Certaines personnes présentes ou refusant de s'y présenter s'y brisent les dents, tandis que des amis du "Régime" y sont pistonnés pour leur album, livre ou spectacle, de façon on ne peut plus conviviale. C'est ce à quoi Nelly s'attendait, vraisemblablement. Pour ceux qui ne sont ni amis de l'institution, ni de la gauche, impossible de savoir auquel des deux Guy A. ils auront affaire; le Page et sa cage aux fauves, ou l'animateur amical et ses chats dégriffés. La composition orchestrée des invités et dans quelque cas, le hasard de cette composition de la cage (fonction de l'actualité) y joue pour beaucoup aussi. Et pour les gens fragiles luttant pour se relever et se comprendre soi-même, comme Nelly, le jeu peut tourner au cauchemar. Se croire humilié(e) ou ridiculisé(e) ou se croire piégé(e) devant deux millions de témoins n'est pas comme devant deux ou trois individus dans un café.

Il n'est pas étonnant que des gens plus fragiles, surtout s'ils ont frayé avec un côté sombre de la vie (ex. la prostitution), ne sachent pas à quoi s'attendre lorsqu'ils se présentent au enregistrements qui feront l'objet d'un montage présenté en différé. Peut-on se baser uniquement sur ce qui a été diffusé après montage (la défense de Guy A.)? Nelly ne voulait peut-être pas que son côté "ex-pute" soit le centre de l'entrevue. Elle avait peut-être envie d'être perçue comme un humain en cheminement, comme autre chose que de la viande alimentant les revenus du jetset montréalais. Ce qu'elle a dit en 2001 ou en 2004 correspondait-il avec son cheminement de 2007, par exemple? Elle venait en tant qu'auteure; pas pour être offerte à des millions d'auditeurs comme la représentante médiatisée des prostituées anonymes du Québec.

Guy A. regrette que ses interventions aient blessé un être fragile. Mais a-t-il compris? Le concept de l'émission est sournois; doucereux avec les uns, implacables avec les autres. Quelle que soit la réponse; ce pleur silencieux (non diffusé du vivant de Nelly) tout le monde en parle maintenant.  En fait, puisque l'animateur se donne le droit de choisir les éléments retenus au montage, les invités ne devraient-ils pas, par un juste retour des choses, avoir le droit d'avoir les questions avant le tournage (équivalent d'un)?

Pourtant, tout le monde sait que le monde artistique est rempli d'êtres sensibles qui pansent et... pensent des blessures. Et tout le monde sait que les autres, ont le droit de savoir auquel des deux Guy ils auront affaire lorsqu'ils passeront devant la cage tout aussi imprévisible, à son image et à l'image de sa création.

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1. La nouvelle non publiée (inédite; ou serait-ce une réflexion autobiographique) de Nelly Arcan peut être lue sur le site www.nellyarcan.com dans la section corpus / inédits / nouvelles non publiées
(oeuvre non paginée).

2. La version de Guy A. Lepage peut être consultée sur le site de l'émission Tout le monde en parle.