mercredi 10 juin 2009

Il était une FOI : ou la fausse neutralité de l'ECR

F. Ouellet est l'un des pères du cours d'Éthique et culture religieuse (ECR). Il était coordonnateur et membre du Comité sur l’éducation au phénomène religieux pour une étude majeure déposée en vue Rapport Proulx (1999). Les recommandations dudit comité ont mené l'État québécois à arrêter son choix sur une version d'Enseignement culturel des religions déjà existante (disons plus ou moins un ECR version 1.x), laquelle une fois actualisée, serait imposée à tous les élèves. Ce comité a contribué en évaluant des programmes existants dans le monde, selon ses critères (profil recherché), en recommandant une version (celle du Québec). Mais l'un des membres du comité des 5 personnes chargées de sélectionner un programme existant idéal était... co-rédacteur du programme retenu (Monsieur Michel Trudeau). Ce comité donnait aussi la structure (cadre d'implantation) et le contenu général du cours à imposer (disons le ECR version 2). En 1999, le rapport Proulx prédisait un paradis scolaire et social avec le type d'enseignement retenu par le comité. En 2002, la poussière étant quelque peu retombée,  Monsieur Ouellet tenait un discours universitaire beaucoup plus inquiétant et destiné aux hautes sphères de l'éducation en France et au Québec (non destiné au grand public, tel que stipulé dans le document). Un cours-type dans les États où il fallait l'implanter, devait idéalement:

- faire ressortir les différences plutôt que pacifier;

- soulever les contradictions à l'école, pour une pédagogie du conflit;

- ébranler l'identité sociale plutôt que la reconnaître;

- et ce faisant, il appuie la théorie conceptuelle sociale de Debray (rapport Debray, en France, 2002) et selon laquelle la tolérance des croyances sans intervention directe des États, conduit à la "pathologie du terrain" (comprendre pathologie de la société).

Il était une FOI...

Voici comment Ouellet reprenait l'argumentaire de Galichet de 1998, donc avant le rapport Proulx déposé au Québec en 1999, dont Ouellet a lui-même coordonné un comité très influent :

« Dans le contexte actuel, il ne suffit pas d’éduquer à la reconnaissance et au respect de l’autre. Il faut aussi apprendre à ébranler la « suffisance identitaire » [...] (Ouellet, 2002, p. 48)


Dans le discours officiel produit par les consultants et hauts fonctionnaires du Gouvernement du Québec, on présente le cours d'ECR (Éthique et culture religieuse) comme un cours neutre et inoffensif (comme s'il avait été créé par Winnie l'Ourson et Tigrou) destiné à favoriser le "vivre-ensemble", par la compréhension de la religion ou encore de la vision du monde selon l'autre. Cela ressemble à la tolérance comme on l'entend habituellement. Jusque là, pas de problèmes (quoique pour ma part je voyais déjà un langage à double sens dans la littérature et le débat, autour de 1999).

En pratique, selon le processus éducatif en installation au Québec, cela va beaucoup plus loin que d'éduquer à la tolérance et que la communication entre les partisans de quelques grands courants religieux et non religieux.

Dans les faits, l'argumentaire à la base du cours imposé, est fondé sur des théories sociales (concepts) selon lesquelles les États des sociétés pluralistes modernes doivent gérer et s'ingérer dans la transmission de la pensée et des valeurs, d'où la nécessité de réintroduire la transmission de la religion (et de l'éthique) dans le domaine de l'éducation, non pas dans le but de transmettre ou communiquer la foi évidemment, mais dans un but de rééducation ou si l'on veut de censure des croyances et valeurs.

Une prise de position philosophique et politique anti-religieuse explique l'emphase inimaginable en démocratie et mise sur l'ECR; immense au point de menacer de faire appel à la Direction de la protection de la jeunesse (menace de sanctions très intimidantes et manipulatrice, la DPJ ayant au Québec, l'autorité de retirer la garde des enfants à leurs parents). Certaines commissions scolaires ont laissé peser cette menace en 2008-2009 (notamment, l'école secondaire Paul-Germain-Ostiguy à Saint-Césaire ET l'école secondaire J.-H.-Leclerc de Granby).

Ces auteurs s'inquiètent par exemple, du fait que la sphère des croyances et valeurs pourrait échapper aux États. Ce n'est plus la séparation de l'État et du religieux. Ceci est déjà un concept dépassé pour eux et n'a servi temporairement que pour distraire les médias et les paliers de nos gouvernements durant les années de consultations sur la place de la religion à l'école. Les États doivent plutôt, selon les théoriciens de cette position, s'ingérer dans la transmission de la culture religieuse et morale pour la passer au crible; la débarasser de ce qu'ils considèrent être des impuretés sociales ou une «pathologie du terrain», comme le dira le rapport Debray en France.

Ouellet explique :
«Par ailleurs, l’approche républicaine française, qui a conduit à exclure de l’école publique non seulement l’enseignement de la religion mais également l’enseignement sur le fait religieux, risque de conduire à des dérives inquiétantes:» (Ouellet, 2002, p. 54)


Il s'empresse de citer le rapport Debray (débat français) :

« La relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle et publiquement contrôlée des connaissances favorise la pathologie du terrain au lieu de l’assainir» (Debray, 2002, p.26 cité par Ouellet, 2002, p. 54, soulignement ajouté).


Et vous l'aurez compris, le "terrain" c'est la société démocratique contaminée par la "pathologie" des croyances fortes. Nous nageons en plein mouvement anti-religieux, mais visant certaines croyances ciblées, à première vue. Comme s'ils avaient peur de s'en prendre aux vrais criminels qui font sauter les édifices, ils font feu de tout par une censure laïque.

Il faut souligner, et c'est très important, qu'il ne s'agit pas ici (véhiculées par eux) de vérités socio-politiques, mais de théories. Leurs porteurs de messages sont à la politique, ce que sont les designers de mode au vêtement. Et dans la pratique, il y a fort loin entre le vêtement porté par le mannequin qui défile devant la presse réunie et ce qui restera dans la vraie vie pour la femme qui doit déposer ses enfants à la garderie (chez la puéricultrice) et entrer au travail durant 8 heures par jour. Comme pour la mode, il y a un abîme entre la théorie sociale et la vraie vie en société impliquant l'instruction / éducation des enfants. Les Juifs connaissent les doctrines et croyances des Islamistes, et inversement et pourtant il n'y a pas de paix.

Comme dans la théorie socio-politique sous-jacente, le «vivre-ensemble» dans le respect des différences n'est donc pas le concept qui a porté le cours d'ECR. Oubliez cette interprétation naïve. Ouellet, par exemple, est d'accord avec le point de vue de Galichet :

«Le problème n’est pas d’inculquer telle valeur ou ensemble de valeurs plutôt que tel autre. Il est de permettre l’émergence d’un questionnement, d’une inquiétude qui arrache l’enfant ou l’adolescent au confort d’un plein et serein accord avec soi-même et de l’acceptation passive de l’altérité d’autrui : « Lui, c’est lui, moi c’est moi». Il est donc moins de « construire une identité» que, à l’inverse, d’ébranler une identité trop massive et d’y introduire la divergence et la dissonance; il n’est pas de préparer à la coexistence et à la tolérance, mais au contraire, de mettre en scène l’incommensurable abîme qui me sépare d’autrui et m’oblige (au sens moral du terme) à m’intéresser à lui. C’est donc une « pédagogie du conflit» à la fois entre les individus mais aussi en chacun. » (Galichet, 1998, p. 146, cité par Ouellet, 2002, p. 49)


Bienvenue dans ce nouveau "pays de l'est" en devenir que nous appellerons Québec (ou pourquoi pas République du Kébek ?)

Les anciens pays de l'est ont vu leurs murs tomber et nous, nous érigeons les nôtres. Car il ne s'agit pas, dans ces nouvelles philosophies sociales, de respecter celui qui est différent dans sa culture et sa croyance, selon Ouellet, Galichet et les penseurs de haut niveau, mais il faut que je devienne conscient par la force (ex.: par un cours obligatoire et des débats imposés durant 11 années de scolarité !), conscient de l'abîme qui me sépare de l'autre, pour m'obliger à m'intéresser à lui ; ce qu'ils appellent :

«mettre en scène l’incommensurable abîme qui me sépare d’autrui et m’oblige (au sens moral du terme) à m’intéresser à lui» (Ibid.).

Mais cette étrange conception de l' "intérêt" envers l'autre n'apparaît plus comme l'intérêt envers mon prochain, selon le sens que lui donnait le christianisme («J'étais étranger et vous m'avez accueillis» (Jésus, cité en Matthieu 25.35). L' «intérêt» envers l'autre chez ces théoriciens (le «m'intéresser à lui») devient ici un néologisme (v. note 1 ; mot qui prend un sens nouveau ou codé). Je m'intéresse à sa morale différente de la mienne dans le système d'éducation à implanter dans les États, mais pour mieux la censurer, la rééduquer, ou m'en innoculer (comme par un vaccin) ou au mieux, mais plus rarement pour y puiser du bon. Le but réel des cours de culture religieuse fortement recommandés aux États en vue de l'éducation «à la citoyenneté», n'est pas le «vivre-ensemble» au sens premier ou apparent (un simple slogan ou "hooker"), mais au sens où l'autre accepte de se laisser rééduquer dans ce camp appelé école.

Seules les visions non religieuses du monde sont bonnes à la fin, chez ces nouveaux "designers" de sociétés. L'ECR ne peut donc pas être neutre; pas plus en fait, qu'un cours ayant pour but de présenter et défendre une foi quelconque. Je suis chrétien, et quand je partage ma foi, je ne prétends pas, de façon trompeuse, présenter une position neutre.

Pourtant, pour vendre les cours de culture religieuse ou d'éducation à la citoyenneté, de telles théoriciens le décrivent par moment comme visant le "vivre-ensemble" dans une société pluraliste, ce qui n'est en fait qu'un slogan aussi vrai que celui de l'ancien arracheur de dents du village : «Ça ne fera pas mal !». Mais ce qu'ils veulent arracher à vos enfants et vos adolescents ce n'est pas une mauvaise dent, ce sont des valeurs que vous vous appliquez à leur inculquer, pour leur bien (si évidemment vous êtes un parent normal et responsable).

Un lecteur attentif peut y déceler la véritable philosophie politique consistant à se servir des institutions d'enseignement pour opérer des réingénieries sociales, mais sur la base de théories (des bancs d'essais et projets pilotes régionaux, comme ce que nous vivons au Québec).

Des simplifications abusives

Ces auteurs semblent ramener les conflits aux idées (lire : convictions religieuses et valeurs) et non aux préjugés raciaux ou aux conditions sociales dans la terre d'accueil ou terre de transition:

« Dans un contexte de « légitimités contradictoires et concurrentes », éduquer à la citoyenneté « ne peut être désormais qu’apprendre à gérer ces légitimités contradictoires qui déchirent les sociétés et les individus. […] Éduquer à la citoyenneté ne saurait aller désormais sans éduquer au conflit et apprendre à gérer ce conflit qui n’est pas simplement un conflit d’opinions ou d’intérêts, mais véritablement une conflit de légitimités, c’est-à-dire de normativité (p. 142-143)» (Ouellet, 2002, p. 48, citant Galichet, 1998, p. 142-143).

C'est une simplification extrême. Les désordres publics dans les grandes villes occidentales ont beaucoup plus souvent une cause économique et sociale (et non religieuse) comme ce fût le cas lors des émeutes de Los Angeles (1992) lorsque Rodney King, de race noir, fût tabassé par des policiers blancs qui étaient filmés mais qui furent acquités lors d'une enquête. Les récentes émeutes dans plusieurs banlieues de la France (ex.: 2005), tout comme celles de Montréal Nord (été 2008), avaient aussi comme cause première la condition sociale et la getthoïsation des récents immigrants, couplées à une perception de profilage racial par les policiers et NON PAS leurs croyances religieuses. Dans bien des cas, des casseurs profitent d'une tension existante transportée dans la rue, pour piller et vandaliser, de sorte qu'il pourrait ne pas y avoir eu d'émeutes sans ces profiteurs du désordre.

Pourquoi le cours d'ECR ne peut pas être neutre?

Le cours d'ECR ne peut pas être neutre pour la simple et bonne raison qu'il s'inscrit dans la continuité historique de la prise de position du rapport Proulx déposé en 1999 au Québec : toutes les religions sont le produit de l'esprit créateur humain. C'est une prémice et une condition du cours. Toutes les croyances sont totalement humaines et elles ne sont aussi bonnes une que l'autre, qu'en ce sens seulement. C'est un jeu de mot qui a échappé à plusieurs lecteurs. C'est une prémice du rapport Proulx qui a donné sa "bénédiction" au cours de culture religieuse alors en développement auquel fut ajouté plus tard le volet éthique:

«L’un des moyens de développer l’ouverture et la tolérance à l’école est d’initier l’élève aux différentes cultures et aux différentes religions et de les présenter comme des manifestations de l’esprit créateur humain, tout aussi légitimes que la sienne» (Proulx, J.-P. et al, 1999, p. 90).
De tels cours ne peuvent pas être neutres dans les États où l'on veut les implanter, car la haine et le mépris que révèlent des expressions telles que «le marché des crédulités» ou «pathologie du terrain» reprises comme inspirantes par Fernand Ouellet pour le projet de société visé, ne peuvent pas être nées dans une pensée de respect et un rêve de dialogue tellement vanté par l'ECR. Ce sont en effet les extraits du rapport Debray qui sont reprises non pas dans une simple survol de la littérature, mais comme un argumentaire intéressant qui se tient, par Ouellet (2002, p. 54).

Dans les faits, le "dialogue" si cher au cours d'ECR est un autre de ces mots employés dans un autre sens, mais que comprennent très bien les initiés (v. Note 1).

Je pourrais encore nommer les approches de la haute critique (littéraire et historique) qui visent essentiellement à déconstruire la Bible, sans le faire avec autant de haine pour tous les écrits dits par ailleurs "Sacrés" ou encore parler de la phénoménologie de la religion, cette philosophie né il y a environ un siècle et qui conclut essentiellement que les personnes de foi engagée ont atteint une position de déséquilibre.

Dernières modifications : 2009-06-12

Autres articles :

Cours d'Éthique et culture religieuse (ECR) : une vision du monde imposée par l'État




Éthique et culture religieuse - quelques curiosités




Cours Éthique et culture religieuse (ECR) et charte québécoise des droits et libertés de la personne




Certains dessous et motivations du cours d'ECR



DOCUMENTS CITÉS

OUELLET, F., L’enseignement du fait religieux dans l’école publique ?, Carrefours de l’éducation 2002/2, n° 14, p. 40-58.

DEBRAY, R. (2002). L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque. Paris : Odile Jacob/Sceren-CNDP. (cité par Ouellet)

GALICHET, F. (1998). L’éducation à la citoyenneté. Paris : Anthropos, 1998. (cité par Ouellet)

PROULX, J.-P. et al, Laïcité et religions. Perspective nouvelle pour l'école québécoise. Gouvernement du Québec - Ministère de l'Éducation, 1999. (aujourd'hui Ministère de l'Éducation, du loisir et du sport - MELS). (à noter que les recommandations du rapport n'ont pas toutes été suivies et que certaines ont été adoptées avec modifications importantes)

ST-HILAIRE, Cynthia. Les éternels absents signalés à la DPJ ? Journal La Voix de l'est. 21 octobre 2008.

NOTES

1. Quelques exemples de néologismes (essai de définition des termes employés dans un sens nouveau):

Au temps des alchimistes, les élites étaient distraites par leur littérature qui parlaient de la quête pour transformer les métaux en or. Mais dans la réalité, les alchimistes composaient des sociétés secrètes qui visaient une expérience gnostique (recherche d'une illumination) en marge de la censure de l'État ou de la religion officielle; donc une expérience spirituelle relevant d'une croyance avec son langage codé précis. Le vocabulaire alchimiste était en réalité un langage codé; la "pierre" était "philosophale". C'était une quête gnostique; un ésotérisme ancien.

De même, ou plutôt à l'inverse, des nouveaux groupes de théoriciens socio-politiques qui se saisissent de nos gouvernements et de nos démocraties où ils sont bien installés, utilisent un langage trompeur pour atteindre leurs fins. Des expressions comme «intérêt» envers l'autre, éducation à la «citoyenneté», «dialogue» et d'autres encore, ne veulent plus dire ce que l'on croirait. Les mots deviennent des leurres (des appats) car ils imitent les valeurs chrétiennes (partage, solidarité, accueil) encore implantées chez plusieurs boomers, ou des valeurs démocratiques. Or le sens des mots est pourtant changé, mais seuls les initiés (ou presque) se comprennent entre eux.

intérêt envers l'autre :
expression qui signifie le comprendre pour mieux censurer, mieux rééduquer, ou à tout le moins, s'en innoculer, un peu à la manière d'un vaccin; beaucoup plus rarement, pour en retenir du bon.

éducation à la citoyenneté :
selon l'idéologie exposée, créer une société épurée de certaines croyances ou certaines expressions religieuses, bien ciblées, dont les adeptes n'auront idéalement plus accès aux postes clés dans ladite société "démocratique". À la différence d'un tireur embusqué criminel qui tire sur un médecin avorteur, ils ont trouvé un moyen d'éliminer l'indésirable, avec l'aval (accord et coopération) des États, mais sans verser son sang. À long terme, c'est une violence économique, car elle dirige vers les postes sous-rémunérés, si postes il y a... ou vers un exil difficile.

dialogue:
non pas un échange amical informel comme le serait une conversation volontaire, mais une négociation imposée à l'élève, dans laquelle une seule partie (l'élève) est contrainte à renoncer à, ou à céder quelque chose. Cela n'a rien à voir avec le fait d'écouter l'autre pour mieux l'accueillir. Dans les faits, les conclusions du programme d'ECR sont déjà définies et ce n'est pas ce cours qui renonce à quelque chose de ses conclusions; la phénoménologie (une des approches utilisées dans le cours) débouchera dans le futur, sur le constat que les religions sont toutes produits de l'esprit humain créateur, même si certaines de leurs valeurs peuvent être bonnes. Mais généralement, on dira que ces valeurs sont humanistes (plutôt que chrétiennes, par exemple).

pathologie du terrain :
pathologie de la société contaminée par le fait religieux; les gens de convictions fortes étant donc des "pathologiques".

légitimités contradictoires et concurrentes OU normativités contradictoires et concurrentes (GALICHET, 1998) : comprendre, toujours selon cette idéologie, les conflits de valeurs qui s'opposent ou valeurs concurrentes. Pour les théories sociales à peine effleurées ici, l'école devrait devenir un camp de rééducation des États, dans les démocraties modernes... Appelons les choses par leur nom.


Dans les faits, le rôle de l'école proposé ne respecte plus les principes fondateurs des démocraties occidentales nord-américaines, selon lesquelles chacun peut faire entendre ses valeurs et attentes (ex. valeurs familiales, ex. valeurs éthiques face à la vie et la mort, etc.). Le christianisme a plus de 300 ans aux États-Unis et il n'a pas conduit à la pire société du monde, il me semble..., contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire. Il a même cohabité pacifiquement avec de multiples religions et croyances et avec la laïcité (ce qui ne fût toutefois pas nécessairement le cas du catholicisme au Québec). Sur le terrain, le christianisme occidental ne veut pas éliminer la laïcité. C'est une mutation de la laïcité qui veut éliminer le religieux des sociétés occidentales et les croyants des débats publics et des positions d'influence et d'autorité. C'est comme, en démocratie, interdire aux chasseurs de prendre part au débat sur la modification des règles de chasse sportive, sous prétexte qu'ils ne peuvent pas être neutres dans le débat.

vendredi 5 juin 2009

Cours Éthique et culture religieuse (ECR) et charte québécoise des droits et libertés de la personne

Et n'oubliez jamais que l'État, c'est quoi?

Ce que nous vivons au Québec est tout le contraire de la séparation de la religion et de l'État. C'est l'ingérence autoritaire de l'État dans les sphères religieuses, spirituelles, philosophiques, morales (les valeurs) et autres de même nature; jusque dans les concepts, cosmologies et cosmogonies! 


En optant pour une reformulation de l'article 41 de la Charte québécoise des droits et liberté de la personne, plutôt que pour son abolition pure et simple, l'État québécois ne se contente pas de soulager les établissements d'enseignement public de leur ancienne obligation de pourvoir un enseignement satisfaisant aux multiples convictions des parents d'une société dite "pluraliste". (...) Il a profité de la réouverture de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour s'insérer comme LA véritable autorité morale et spirituelle sur les enfants. Voilà.

Historique préparatoire à l'ECR


Selon l'énoncé datant de 1982, de l'article 41 de la Charte québécoise des droits et liberté de la personne, voici le droit qui était prévu :

«Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi».

Donc, enseignement catholique, protestant ou moral. Ce qui dépasse l'entendement n'est pas l'abolition de ce dernier article, mais AU CONTRAIRE, le fait qu'il ait été plutôt dévié et conservé.

L'article 41 de la charte, modifié par la Loi 95 en juin 2005, l'article se lit maintenant comme suit:

« Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs convictions, dans le respect des droits de leurs enfants et de l'intérêt de ceux-ci »
À première vu, en lecture rapide, il ne semble pas y avoir de problème. Cela ressemble à un simple droit des parents, garanti en dehors de l'école. Mais en matière de droit, la moindre virgule vient changer le sens d'un texte.

Remarques concernant cette nouvelle mouture du texte : «dans le respect des droits de leurs enfants et de l'intérêt de ceux-ci»


 Pourquoi mettre ceci dans l'article 41 : «...dans le respect des droits de leurs enfants et de l'intérêt de ceux-ci»?

1) «...dans le respect des droits de leurs enfants
Tout en société de droit démocratique comme le Canada et le Québec doit se faire dans le respect des droits des autres. L'implication serait que la charte se conformera à des articles de lois qui ne sont pas encore. C'est assez bizarre...

2) «...dans le respect (...) et de l'intérêt de ceux-ci»
D'autre part, le respect de l'intérêt des enfants, «l'intérêt de ceux-ci»,  ouvre la porte à une ingérence de l'État sur le contenu des valeurs enseignées aux enfants à la maison, au lieu de culte, et payé par l'argent privé des parents et de leur communauté. Donc, l'interprétation serait que l'État se réserve un droit de juger et de statuer sur le contenu de l'enseignement religieux et moral (l'éthique, les valeurs) enseignées en dehors de l'école publique. Ce n'est pas rien! Cela semble non-conforme à ce qui est garanti dans la constitution canadienne. Une avocate de la Clé a qualifié ceci en ces termes : «C'est du droit nouveau; on n'a jamais vu ça».

En remplacement, il est est maintenant question pour les parents et ceux qui en tiennent lieu, d'un droit d'assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants; donc y pourvoir par leurs propres moyens et ceux de leur communauté ou leur réseau social, mais avec un droit de validation des enseignements par l'État.

Le retrait de l'ancienne obligation d'enseignement religieux reposant sur les établissements d'enseignement, mais curieusement tout en maintenant l'article 41 sous une forme et un but différent soulève l'intention probable d'un champ d'application du nouvel article 41 jusque dans l'école privée, les lieux de culte et même le foyer (la vie privée dans sa plus grande intimité) puisque ce sont les seuls espaces (lieu de culte, foyer, communauté hors de l'école) qui restent aux parents dans le droit d'assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants.

Une ingérence de l'État québécois dans les valeurs morales et spirituelles transmises aux enfants semble donc prévue par la loi. (...)

Plus encore, le droit du parent ou tenant-lieu d'assurer cette transmission serait en fait un droit, mais presqu'en apparence seulement, comme une coquille vide. Parce que l'État apparaît ainsi comme l'entité supérieure qui détermine ce qui est de l'intérêt de l'enfant. Comme parent ou responsable des enfants, le parent vivant au Québec ne serait donc plus la première autorité morale et spirituelle naturelle de ses enfants d'âge mineur (moins de 18 ans).

«Mais où est le problème, peut-on penser, si le gouvernement veut ainsi se garder une porte pour protéger les enfants contre d'éventuels abus?»

La réponse est simple:

Quelle entité déterminera, en vertu de l'article 41 modifié, ce qui est «de l'intérêt de l'enfant» en matière de foi, de religion, de spiritualité, de convictions, de valeurs, de morale, d'éthique, de philosophie de vie; bref, d'opinion ? 


L'État, évidemment ou ses représentants (ex. la DPJ; le MELS, et autres). Est-ce que le parent québécois veut vraiment que l'État décide ou décrète ce qui est de l'intérêt de son/ses enfant(s) ou des enfants de ses enfants pour les prochaines décennies en matière de valeurs morales; de sexualité (ce qui peut être pratiqué) à la pré-adolescence et à l'adolescence, sur les questions comme la consommation des drogues, de la spiritualité permise ou proscrite, et le reste ?

Avant de répondre que oui, l'État peut décider des valeurs à adopter, je vous suggère cette lecture:


Guide sexuel et relations à 9 ans : non aux zozos du zizi gouverne-Mentaux


Les médias ont aussi parlé des questionnaires dans le cadre du programme, où pour le genre, il y a une case autre que garçon ou fille pour l'identité sexuelle de l'enfant (autre, je ne sais pas).


Ingérence de l'État dans la religion, la spiritualité... la philosophie


La formulation «de l'intérêt de l'enfant» constitue un genre de pouvoir discrétionnaire pour les officiers représentant l'État et ouvre la porte à l'arbitraire et aux préférences des représentants de l'État.

Si un représentant de la DPJ ou du Ministère de la justice juge suite à une mauvaise presse, qu'il n'aime pas un groupe religieux et que l'opinion populaire va dans le même sens, il pourra contourner le droit de l'enfant et des parents sans être inquiété en recourant à ce petit appendice légal.

Imaginons par exemple, dans quelques années (vers 2020) un gouvernement élu démocratiquement, de tendance majoritairement athée. Arrive un scandale avec un groupe religieux (il y en aura assurément, comme aussi avec les groupes non religieux) et une pression populaire pour resserrer les libertés de tels groupes. Le gouvernement élu démocratiquement et de tendance athée, pourrait ordonner le retrait de tous les enfants de la participation aux cultes ou assemblées de ladite religion, même si les cas d'abus ne visaient que quelques individus. Et il pourrait le faire légalement et sans être inquiété
1) en s'appuyant sur ce pouvoir discrétionnaire de l'article 41 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne,
2) sur l'appui de la majorité de la population et des médias (quoique non nécessaire si l'État le décide en vertu de la nouvelle charte et des modifications dans les lois) et
3) de ce fait, de l'appui plus que probables des juges qui depuis quelques années déjà, ont une interprétation plus libérale des lois pour tenir compte non seulement des textes de loi, mais aussi des changements d'opinions des citoyens, en émettant leurs jugements.

Sur la présumée protection contre les abus par les chartes des droits ...


Si des parents vivant dans le système du Québec pensent être protégés des abus par des chartes de droits "immuables" ou inchangeables, qu'ils y réfléchissent. Il n'a fallu que très peu de temps et d'efforts pour changer la Charte québécoise des droits et liberté de la personne.  Il sera donc tout aussi facile de le faire dans le futur pour une nouvelle politique sociale décidée par une élite au pouvoir; peut-être même plus facile encore, car il y a maintenant un précédent: le changement introduit en 2005 en vue de l'implantation de l'ECR.

L'intention avouée dans les requêtes de changement de la charte a pourtant toujours été l'impossibilité pour l'État de pouvoir maintenir un enseignement religieux personnalisé satisfaisant toutes les sensibilités, tout en conservant les droits historiques des catholiques et protestants. Mais dans les faits, par la nouvelle mouture de l'article 41 plutôt que son abolition pure et simple, l'État ne s'est pas contenté de se désengager de l'enseignement religieux catholique et protestant dans les institutions d'enseignement publiques. Il a profité de la réouverture de la charte pour s'insérer comme LA véritable autorité morale et spirituelle sur les enfants. Voilà.

Pourtant, l'établissement de l'État comme nouvelle autorité sur les enfants d'âge mineur, n'est pas ce qui a été promu et véhiculé par les communiqués publics et les médias depuis la fin des années 1990. Les parents ou responsables des enfants se retrouvent malgré tout, devant une version différente de celle qui pouvait paraître défendable.

Résultat : l'État se constituerait donc lui-même (auto-proclamé) comme une autorité religieuse et morale (fusion de l'autorité politique, spirituelle, religieuse et philosophique) sur des enfants d'âge mineur, alors que les parents ou les personnes qui en tiennent lieu seraient relégués à une position d'autorité secondaire et de pourvoyeurs.



L'Exercice en cours au Québec n'est donc PAS la séparation de l'État et de la religion


L'Exercice en cours au Québec n'est donc PAS la séparation de l'État et de la religion; ça c'est le discours simpliste retenu par les médias francophones du Québec. Nous entrons dans l'ère de l'intrusion de l'État dans la sphère religieuse et morale, soit jusque dans la vie familiale et la communauté. Ceci expliquerait pourquoi le cours d'Éthique et culture religieuse (ECR) met tellement d'emphase sur le fait que les jeunes doivent échanger sur leurs convictions (convictions des enfants dès les trois cycles du primaire !?!; soit dès l'âge de 6 ans!) et exposer devant tous, ce qui est transmis et enseigné dans l'environnement qu'ils connaissent (donc inévitablement la maison et les autres lieux de transmission).

Avec l'ECR, la classe devient au pire:

- une "webcam" (déformée par la compréhension souvent partielle ou inadéquate des enfants - compréhension enfantine)
- ou si l'on veut, un agent virtuel (présent mais non visible) de l'État dans votre maison, votre église, votre école du dimanche ou sunday school (pour les traditions protestantes), votre groupe de catéchèse (catholicisme transmis maintenant hors de l'école), votre temple, votre synagogue, ou tout autre lieu de transmission des valeurs spirituelles ou éthiques.
- et facilement, un outil (un cheval de Troie) de propagande ou d'intégration sociale des politiques de l'État;
- une porte pour la ré-ingénierie sociale d'une génération après l'autre, pour conditionner et uniformiser la pensée des électeurs de demain).

Et n'oubliez jamais que l'État, c'est quoi? Ce n'est en fait qu'une entité au pouvoir, composée d'une sélection extrêmement réduite des membres d'une société. Quand on dit que l'État peut décider ce qui est bon et ce qui est vrai, on veut dire quelques dizaines de personnes.


Ou encore, avec l'ECR,  la classe devient au mieux:

- un laboratoire d'essai-erreur des théories sociales de l'élite

Et entre nous, est-ce bien le rôle des institutions d'enseignement publiques et privées de pourvoir à l'implantation des politiques de l'État (agir en tant qu'agents des politiques du Parti)? 


Évidemment non. L'École doit demeurer indépendante des partis qui se succèdent parfois rapidement au pouvoir.

Conclusion

Ceux qui ont modifié ainsi les textes de l'article 41 de la Charte étaient conscients de cette portée du texte donnant primauté à l'État sur les parents. Mais il n'est pas aussi certain que les élus des deux Gouvernements (Québec et fédéral) en étaient aussi bien saisis, ou même qu'ils auraient approuvé cette perspective d'ingérence de l'État dans les spiritualités et les visions du monde. De même, pour les parents qui se voient relégués au rôle de pourvoyeurs matériels des enfants d'âge mineur (payer le gite, le vêtement et la nourriture pendant que l'État s'occupe de leur esprit et de leurs valeurs). Si le peuple ne fait rien dans ce débat, il y a de gros nuages à l'horizon pour les droits de nos enfants et de leurs enfants. Car cela ressemble étrangement aux premiers fruits (projets pilotes régionaux?) de la gestion, par les États, de la liberté de conscience dans un nouveau paradigme politique et social en progression.

Dernières modifications :  8 décembre 2011; 11 décembre 2010;  5 juin 2009