lundi 19 juillet 2010

Haïti toujours sous les décombres : comment agir

Les récentes nouvelles qui parviennent au Québec d'Haïti nous indiquent que le nettoyage des décombres ne se fait toujours pas. Comment expliquer que la chose la plus simple ne soit pas déjà en marche malgré l'aide internationale donnée ou engagée?

Actuel drapeau d'Haïti, adopté de nouveau
en 1986, après la chute du régime Duvalier. 
Dessiné par Alexandre Pétion en 1806. 
Pour un historique des drapeaux : 
(Dernières révisions : 28 août 2010, 17 janvier 2011)

Un pays ébranlé par le chaos d'avant et
d'après le séisme du 12 janvier 2010
Avant de reconstruire la capitale du pays, Port-au-Prince, il faut en effet transporter blocs de bétons, armatures d'acier entrelacées et autres débris hors du site et des rues; en supposant qu'il faille reconstruire le même Port-au-Prince. Je n'en suis pas convaincu.

De quoi je me mêle, me direz-vous? J'ai passé 2 semaines en Haïti en 1984. J'en ai une meilleure idée que la plupart des Québécois. J'ai développé un attachement avec ce pays. Et quelle est ma compétence en la matière? Au Québec, J'ai occupé certaines positions d'autorité, comme chef d'équipe, comme membre ayant siégé à des comités et en fonction de direction d'un organisme sans but lucratif. Cela m'a permis d'expérimenter divers approches et styles de leadership, démocratiques et hiérarchiques ou mixtes. Chacun a ses forces, mais aussi ses faiblesses.

Je vous dirai simplement ce que je pense. La solution haïtienne n'est pas dans l'étude des 200 dernières années de fiasco politique. Pas besoin de faire étendre Haïti sur le sofa du psychanalyste et de remonter à sa naissance. Tel que je le soupçonnais dans un billet en début d'année, Haïti n'a pas un cadastre en règle ou complet. Imaginez la seule problématique pour démêler les droits de propriété. C'est impensable. Ils faut procéder différemment. Dans bien des cas, le propriétaire du site est mort ou déplacé et difficilement trouvable; peut-être même incapable de prouver son droit de propriété (!). Comment pensez-vous gérer les droits de succession en pareil cas? Comme si ce n'était pas assez, les registres civils des naissances et décès sont incomplets, de sorte que certaines naissances ne sont pas déclarées. Ainsi, dans le vrai vaudou (pas le folklorique), il est encore possible d'offrir des bébés en sacrifices humains. C'est ainsi que certains initiés conservent leur culture ancestrale.

Et la gestion par comités démocratiques traditionnels serait extrêmement fastidieuse. Si on utilise une telle structure (comités de fonctionnaires et d'élus) pour reconstruire la capitale, ce n'est pas 20 ans qu'il faudra, mais beaucoup plus. Quand ce sera terminé, les besoins auront déjà changé et les solutions seront en voie d'être dépassées (ex. circulation, transport, logement, urbanisme, etc.).

La situation d'Haïti en est une de crise, comme l'Europe après la Deuxième Guerre mondiale. Il faut donc un consensus général, oui, mais dans les grandes lignes et doublé d'un maître d'oeuvre efficace; une sorte de cellule de crise avec les pouvoirs associés. Je parle d'une structure pour le volet matériel et probablement une autre pour le social, le politique et l'économie (celle-là plus politique).

Les situations de crise se prêtent mal aux comités démocratiques conventionnels

Les situations de crise se prêtent mal à la démocratie conventionnelle. Je vous propose une illustration de l'impossibilité de la démocratie traditionnelle dans certaines situations critiques, dans ce qu'on peut appeler une parabole contemporaine. J'ai lu le rapport d'une excursion de kayak de mer qui a failli tourner en tragédie il y a quelques années dans un parc national (Bic) près de la ville de Rimouski. Un pourvoyeur de services organisait des excursions avec un guide un peu plus expérimenté que les clients de ce matin-là. Lorsqu'une tempête de vent a surpris les excursionnistes novices et que leurs kayaks se sont renversés, le salut de ces gens s'est trouvé dans le pouvoir et la réaction du leader. Lorsque les gens étaient dans l'eau et que ces personnes commençaient à souffrir d'hypothermie, la situation ne se prêtait pas à la démocratie. Le guide a pris en charge les opérations, et le groupe s'est soumis à ses directives. Aucune vie des novices qui ont tous chaviré ne s'est perdue, bien que la compagnie n'aie pas eu d'embarcation d'urgence disponible à quai.

Dans cette situation, la solution ne passait pas par une rencontre de comité conventionnelle. Voilà ce qu'il faut en Haïti et dans la capitale : un groupe de gestion de crise formé de leaders multidisciplinaires expérimentés, une sorte de "vétérans", supportés et surveillés par les "démocrates" (lire : les élus d'Haïti et des pays aidant), mais un groupe stratégique non sous contrôle direct de ces élus, ni selon la méthode conventionnelle des comités.

Autrement, le pays en sera encore aux tables de comités dans deux ans. Comprenez-moi bien. Je ne dis pas qu'il faille une force d'occupation militaire, mais plutôt une cellule de gestion de crise, du genre de celles qui se mettent en branle, par exemple à la NASA, lorsque ses missions sont confrontées à des urgences (ex. lors de la mission Appollo 13). Autrement, ce sera davantage une saga comme celle de la catastrophe écologique de BP dans le Golfe du Mexique en 2010. Il a fallu des mois pour boucher un "foutu trou". Et les déchirements seront incessants entre les partisans de Préval,  les nostalgiques de Duvalier, les pro-Aristide, les criminalisés, les syndicats, etc.

Ne nous y trompons pas, si la crise est gérée selon le mode des comités démocratiques conventionnels OU avec cocktails et hôtels de luxe et des congrès nécessitant des mois de préparation, oubliez cela. Il faut des gens prêts à donner quelques années d'engagement, dans un confort acceptable, avec des congés périodiques dans leur pays de résidence permanente, mais pas le jet set.

Il y aurait aussi intérêt qu'il y a ait un chef de mission, assisté d'un second et d'un troisième, selon un ordre hiérarchique connu dès le départ, en cas d'inaptitude ou d'absence temporaire du premier à occuper la fonction ou de son départ. Idéalement, ils recevraient le même salaire pour éviter toute mésentente à ce niveau. Et il y aurait évidemment délégation de tâches et responsabilités à divers chefs de groupes en lien avec les intervenants. Il pourrait possiblement y avoir une rotation à ce poste, idéalement par l'entrée en fonction du deuxième ou troisième assistant du chef de mission, qui serait l'autorité suprême en cas de dilemmes, imprévus et possibles conflits de priorités ou de méthodes qui lui sont soumis. Et pourquoi pas, ce comité pourrait intégrer des généraux et quelques autres officiers supérieurs étrangers spécialisés en organisation et situation de crises, prêtés au civil en tant que conseillers experts, pour le besoin.

Les ONG seraient, selon leur spécialité, coordonnés et aidés par cette cellule de crise (ex. diriger les gens en besoins spécifiques vers ces ONG, etc.). Vue la crise, pas question de faire la même tâche en double ou en triple (dédoublement des efforts).

En parallèle à ce comité de gestion des affaires matérielles, un comité davantage composé d'élus prendrait en charge la supervision et coordination des volets sociaux, économiques et politiques pour la stabilité et reconstruction du pays qui était déjà très malade avant la crise générée par le séisme. Ce second comité fournirait les grandes orientations ou créerait la forme (règles, objectifs, zonage et urbanisme, etc.) et le cellule de crise remplirait la forme.

Autres articles de Ya pas de presse (YaPasdPresse) :

Haïti : reconstruire l'État (22 février 2010)
http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/02/haiti-reconstruction-de-letat.html

J'Haïti ça la corruption !!! (19 février 2010)
http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/02/jhaiti-ca-la-corruption.html

Crise haïtienne : accueillir c'est bien; parrainer et "coacher" c'est mieux ! (24 janvier 2010)
http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/01/accueillir-cest-bien-parrainer-et.html

Haïti : défi de gérer l'urgence (20 janvier 2010)
http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/01/haiti-inspire-nous.html


Article suggéré :

Les erreurs à éviter pour reconstruire Haïti, Métro (Montréal), 4 mars 2010.
http://www.journalmetro.com/linfo/article/469326--les-erreurs-a-eviter-pour-reconstruire-haiti
(NDLR: Cet article répertorie des exemples de ce qu'il faut éviter, mais pas ce qu'il faut faire. Par exemple, comment coordonne-t-on des centaines d'ONG autonomes ? Comment prend-t-on des décisions rapides et éclairées et les applique-t-on sans verser dans des comités sans fin ? Comment les pays donateurs trouvent-ils leur compte sans tomber dans des décisions en défaveur du pays ? Comment transformer les mots en ressources matérielles et humaines ? Comment éviter le gonflement artificiel de l'économie régionale durant les années de reconstruction pour survivre au départ des pays étrangers?)