vendredi 16 juillet 2010

L'École privée favorisée ? Voyons voir...

Périodiquement au Québec, les commissions scolaires et les nouveaux Tché tirent à gros boulets sur les écoles privées partiellement subventionnées. J'ai déjà écrit, comme d'autres plus qualifiés que moi en finances publiques (l'économiste Nathalie Elgrably-Lévy de l'IEDM - Institut économique de Montréal, notamment), que cela constitue une économie pour l'État québécois. En effet, les parents paient déjà la totalite de leur part du systeme public OU leur 100 pourcent (%) des taxes et impôts. En retour, le Gouvernement du Québec leur réinjecte une partie seulement au privé, contre 100% s'ils font le choix du public. Ceci étant réglé, mon intervention d'aujourd'hui est pour répondre à une opinion publiée au Journal de Québec du vendredi 16 juillet 2010 dans la section "Vos commentaires" (équivalent à l'opinion des lecteurs). Je l'ai choisi, car cela constitue un cas-type de cette argumentation. Une dame répondait au chroniqueur et chef de nouvelles, M. J.Jacques Samson. Je reprends et commente les trois arguments.

(dernière modification: 24 février 2013)
D'entrée de jeu, ce qui m'étonne de plus en plus depuis que je m'intéresse au domaine socio-politique, c'est qu'il devient extrêmement difficile d'exercer des choix dans la diversité, en récupérant une partie de nos taxes et impôts. Voici donc (outre le mythe des coûts pour l'État), trois autres arguments-types avec mes commentaires. Les citations directes de l'auteure sont en petits caractères.

1) ARGUMENT 1: Le privé choisit ses élèves. Il est contingenté (n'accepte pas toutes les candidatures d'élèves ou étudiants) et cela constitue un poids pour l'école publique qui conserve les cas plus difficiles.

  • L'auteure : «Premièrement, le système privé choisit ses élèves. Il en résulte un problème majeur pour les écoles publiques qui se retrouvent avec une «clientèle» qui exige plus de services (orthophonie, orthopédagogie, psychologie, etc.)».

Mon commentaire : Et où était cette «clientèle difficile» avant d'être au privé? Elle était déjà dans le système public.

Plus encore, il est vrai que le privé peut exercer un certain choix (tout comme les écoles publiques à projet particulier), mais celui-ci n'est pas illimité et ne peut pas prélever uniquement les élèves les plus performants.
-  Par exemple, les éléments d'une école publique qui sont jugés arbitrairement les "meilleurs" (et... quelle est la mesure de la qualité d'une personne??), ont pour plusieurs d'entre eux, des parents qui ne feront pas le choix de les inscrire au privé. Il reste donc beaucoup de ces éléments jugés les "meilleurs" dans l'école publique (arbitrairement, car seul l'avenir révélera leur valeur globale).
-  Lorsqu'un enfant fait son entrée dès la maternelle, l'admission se base généralement sur l'observation de l'enfant en groupe durant des activités.
- Les parents inscrivent souvent leurs enfants en fratrie (2 ou 3 enfants frères et sœurs). Donc souvent, il y a un plus performant et son inverse (Une personne de mes proches travaille au privé, je sais de quoi je parle).

De plus, les élèves intéressés en arts, ou en sport, ou en lettres et langues, ou plus attirés par les sciences humaines, ne sont pas nécessairement les plus doués en sciences pures... Le privé ne peut donc pas attirer que les petits Einstein, mais aussi les petits Leclerc ébouriffés avec des souliers qui vont voyager. Encore là, le raisonnement est donc faux. Au privé il y a de futurs artistes qui en arrachent en mathématiques et en français écrit . Et qui fréquentent le service d'aide aux devoirs.

2) ARGUMENT 2: La pression du privé obligeant les écoles publiques les mieux positionnées, à créer deux types de clientèles à l'interne, ce qui constituerait selon l'argument, une forme de désavantage pour les élèves qui restent aux cours publics réguliers.

  • L'auteure : «Deuxièmement, la réussite de certaines écoles publiques repose souvent sur leur situation géographique et / ou fait qu'elles utilisent les mêmes critères de sélection que les écoles privées. Dans certaines écoles [lire : écoles publiques], les élèves sont plus nombreux dans les cours réguliers que dans les cours à vocation particulière (sports, arts ou école internationale). En plus d'offrir de meilleures conditions à ces élèves, on néglige les élèves du régulier puisque le ratio élèves / enseignant [lire : nombre d'élèves par enseignant] est calculé à partir du nombre total d'élèves par école».

Mon commentaire : C'est peut-être parce que nous sommes en territoire partiellement, mais pas encore totalement socialiste. Autrement dit, l'auteure accuse le privé de forcer les écoles publiques à varier l'offre de services (créativité, innovation) et à offrir une valeur ajoutée pour ceux qui le désirent et qui en ont la capacité, si elles veulent demeurer compétitives. Je ne vois pas encore le scandale...

En effet, les études comparées de l'influence de la compétition du privé sur le public tendent à démontrer que la pression de la compétition des écoles privées pousse le public vers le haut et vers une meilleur réussite (L'école publique bénéficie de la concurrence entre le privé et le public, abrégé).

Concernant la "géographie" (facteur social) du taux de réussite

Quant à la "géographie" du taux de réussite, évidemment, je comprends qu'une école publique d'un quartier urbain défavorisé performera logiquement mois bien que sa consœur d'un quartier de médecins et de banquiers. Mais cela n'explique pas tout. Au tournant de la décennie. Des écoles de la région plutôt prospère de Saint-Hyacinthe en arrachent comme des écoles au bout de la Côte-Nord dans l'est du Québec (environ 1/3 de décrochage au secondaire pour les deux contextes).

Le véritable problème est que le taux de réussite est une mesure statistique parmi plusieurs autres et que cette mesure parmi d'autres, n'est pas appropriée en tout. Comme toute statistique, l'utilisation dépend de ce que l'on veut mesurer. Cet indice sert justement à mon sens, en partie à identifier un contexte problématique pour mieux intervenir (diriger les ressources au bon endroit). On peut penser par exemple à l'utilisation du taux de réussite ou du taux de décrochage, pour l'identification de facteurs sociaux contraignants (pauvreté, langue parlée par des parents qui ne peuvent aider aux devoirs, instruction des parents, facteurs familiaux divers comme la violence, l'immigration de première génération, le racisme, la mono-parentalité - ou la polygamie en croissance, etc.). Mais ce n'est pas la faute du privé.

Par contre, ce genre d'indice (taux de réussite ou décrochage) pourrait aussi mettre en valeur le fait que deux écoles de quartiers voisins avec des conditions sociales très semblables ont des résultats significativement différents. Dans un tel cas, il faudrait oser questionner les pratiques et approches, ce qui est très difficile dans le contexte actuel (ex. les réformes plus ou moins réussies à répétition qui démotivent les troupes, les conventions collectives peu flexibles, etc.).

C'est donc l'utilisation inappropriée du résultat statistique qu'il faut remettre en question ou pondérer, mais pas l'enseignement privé.

Dans un système social idiot, on dirait que si un garçon de 15 ans est handicapé des deux jambes, tous les joueurs de football de sa classe doivent jouer en chaise roulante; «tous doivent être égaux!» (socialisme extrême). Mais nous savons que la vie n'est pas comme cela. Il en est de même en matière d'éducation. Dans un système intelligent, on dira qu'il faut faciliter la vie du défavorisé plutôt que d'ajouter un handicap à l'ensemble. Voilà un bon usage de ce genre de statistiques; orienter des ressources spécifiques là où sont les besoins. Personnellement, j'ai apprécié qu'au secondaire, il y avait des maths plus fortes ou mois fortes (3 catégories). Je ne vivais pas le sentiment d'échec si je me retrouvais dans le groupe du milieu.

D'autre part, plus le nombre de candidats au privé est élevé, plus logiquement, le territoire touché est grand. Donc, l'impact  réparti sur chacune des écoles publiques dudit territoire (ex. la Ville de Québec) est somme toute, mitigé. Par exemple, avec une part de marché du privé d'un peu plus de 12 pourcent (%)  en 2010, cela représente un prélèvement d'entre 3 à 4 élèves sur une hypothétique classe de 30. La classe de 30 pourrait donc se retrouver (scandale???) avec 26 ou 27 élèves. N'est-ce pas justement ce que la société québécoise demande, de réduire le nombre d'élèves par classe ? Faudrait se décider...

Si l'État québécois décide par contre, de maintenir un ratio élevé d'élèves par enseignant suite au départ de quelques élèves ou étudiants au privé, c'est parce qu'il le veut bien. Est-ce qu'il a cette pratique, je ne sais pas. Mais s'il s'avérait qu'il corrige ainsi et répartit la clientèle selon les classes et géographiquement (déplace des élèves vers d'autres écoles) pour maintenir un ratio élevé en nombre d'élèves par enseignant, c'est que c'est alors un choix sociopolitique. Encore là, ce n'est pas la faute au privé.


3) ARGUMENT 3: La réussite alléguée (information non validée par moi) de pays qui ont dit non au privé (moins de décrochage scolaire, meilleur taux de réussite). 

  • L'auteure : «Troisièmement, la plupart des pays où il y a moins de décrochage scolaire et les meilleurs taux de réussite, sont les pays qui on dit non à l'école privée».

Mon commentaire : Supposons que l'information soit vraie. La clef de leur réussite réside, j'en suis persuadé, dans la façon différente de faire les choses et non pas dans la source de l'argent; public vs privé (ex. créativité, respect des spécificité comme les contextes sociaux, le genre - sexe - de l'enfant, les intérêts, le contenu, les horaires, les systèmes axés sur les récompenses et le renforcement, les projets spéciaux, etc.). Car l'argent n'a pas d'intelligence! De ce que j'ai déjà lu OU vu dans ce genre de reportage, les systèmes qui réussissent ont une approche différente de notre système public québécois et font preuve d'innovation.

Et même si la subvention de l'école publique est au prorata des élèves inscrits (nombre d'élèves total de l'école), cela est vrai au privé aussi. Si les classes sont plus réduites au privé, serait-ce parce que ces écoles sont moins lourdes à gérer?

Il ne faut pas oublier que les cultures et sociétés fonctionnent comme des écosystèmes qui ont mis des siècles à trouver un équilibre qui leur est propre.  Emprunter des idées sans considérer l'ensemble des vecteurs d'une société est un acte hasardeux et risqué.

  • Par exemple, quel sont les rôles et les contraintes des syndicats dans ces pays? 
  • Et une multitude d'autres questions du genre. 
  • Pensez seulement, dans le secteur de l'économie, à ce qui est subventionné dans un pays et pas dans l'autre (agriculture, industrie, etc.), même chose avec ce qui est taxé ou non (taxes à l'importation, pénalités) et les maux de têtes que cela cause aux arbitres commerciaux dans les prétendus "libres" échanges (des décennies de plaisir juridique). 
Autrement dit, une société en équilibre n'est pas quelque chose de si simple qu'il n'y paraît. Plusieurs facteurs de même, influencent la réussite (ex. les valeurs, la famille, l'approche, l'innovation, etc.)

Ce troisième argument m'apparaît comme le type de raisonnement suivant.
- Les restaurants mieux entretenus (propres) offrent généralement une nourriture de meilleure qualité.
- Donc, si Joe CANTINe embauche un concierge, sa nourriture sera meilleure!
Pas sûr... Les 2 conditions "logiques" (prémisses) ne sont pas liées dans ce cas. 

Cela me rappelle à l'instant, une ancienne voisine et amie d'adolescence, qui s'est récemment installée à Québec. Elle et son mari ont acheté un restaurant franchisé (une unité d'une chaîne de restauration). Les normes en ce domaine sont évidemment uniformes pour tout le pays, voire pour le continent! Mais contrairement aux prétentions du vendeur, la clientèle promise n'était pas au rendez-vous à la livraison du commerce. C'est pourtant aux abords d'une voie d'accès à une autoroute achalandée. Elle et son mari ont dû changer certains membres du personnel qui ne cadraient pas avec leur vision du service. Le commerce s'est reconstruit une clientèle, ce qui a pris deux ans et beaucoup de travail. Aujourd'hui, ils peuvent s'absenter les fins de semaine. Pourquoi cet exemple? Pour indiquer que même avec les mêmes normes communes (ex. les normes québécoises en instruction publique), il y a toujours un impact important relié à la façon de faire les choses et à l'énergie qu'on y investit.

Il manque évidemment beaucoup d'informations dans ce troisième argument de l'auteure basé sur d'autres pays. Mais un sage m'a déjà raconté cette histoire. Un éleveur élevait des dindes en sol sec et réussissait bien. Un autre élevait des dindes en sol humide et avait aussi de très bons résultats. Un troisième se dit donc: «je vais mélanger les deux approches et j'aurai de meilleur résultats !». Mais ce fût un échec. Lorsque nous glanons des idées ici et là, sans tenir compte de l'équilibre et la structure de l'ensemble, nous avons une vue partielle et incomplète et le remède peut s'avérer pire que la maladie. Cela s'applique aussi aux équilibres socioéconomiques et à l'éducation.


En résumé
  • Dans l'accroissement de la popularité du privé, il faut y voir un défi pour le public. C'est ce que tendent à démontrer non seulement les études (L'école publique bénéficie de la concurrence entre le privé et le public, IEDM, 2005. Rapport en PDF), mais aussi le gain de popularité de certaines écoles publiques du Québec, qui ont décider de considérer leur approche, face à la critique de la dernière décennie.
  • Et il n'est pas vrai que le privé vide systématiquement le public de ses meilleurs éléments. Les parents d'élèves prometteurs font majoritairement le choix de laisser leurs enfants à l'école publique. Le privé doit faire des compromis sur les capacités en sciences pures, s'il désire aussi accueillir certains autres types de clientèle (ex. les sportifs, gens d'arts et lettres, etc.). Certains y entrent dès la maternelle. D'autres entrent avec un frère ou une sœur que les parents inscrivent en fratrie (un élève plus doué que l'autre est souvent rencontré).
  • De plus, le privé subventionné partiellement par exemple à hauteur d'env. 60% contre 100% au public pour les services éducatifs, constitue une économie. Pourquoi? Parce que ces parents continuent de contribuer à leur part de 100% du système public (impôts + taxes scolaires au public). Serait-il possible que d'autres secteurs de services (ex. santé) puissent bénéficier de volets partiellement privés pour décongestionner le secteur des services publics, comme le suggère le journaliste J.Jacques Samson (Mixité à imiter)? Ces clients du privé paieraient quand même leur 100% de taxes et impôts, comme cela se fait pour ceux qui bénéficie de l'école privée partiellement subventionnés. Cela vaut-il pas la peine d'y plancher et de faire des essais. Je ne suis pas contre le fait qu'il y ait moins de gens dans les salles d'attentes et couloirs des urgences du secteur public, parce que des personnes auront décidé d'assumer une part des coûts additionnels à leurs taxes et impôts pour profiter d'un volet privé partiellement subventionné (plutôt que à 100% comme actuellement)  par l'État. Je suis un nouveau converti à cette idée. En 2007, je ne pensais pas ainsi. J'ai simplement commencé à diversifier les médias et chroniques auxquels je m'alimentais. Un peu moins de Radio-Canada (SRC / CBC), par exemple et j'ai découvert un monde d'information ignoré.
  • Pour ce qui concerne le ratio élevé d'élèves par enseignant et le manque de ressources professionnelles au public, je dirais que puisque le privé y puise plus de 12% de la clientèle scolaire en 2010, tout en continuant de payer sa part du total des taxes et impôts qui sont alloués au public, cela devrait logiquement tendre à réduire la taille des classes. Si ce n'est pas le cas, c'est qu'alors un ratio élevé correspond encore à la politique de notre gouvernement. Considérant cette éventualité et du fait que l'instruction privée coûte moins cher au gouvernement (60 % des coûts, contre 100% au public), alors force est de conclure que dans un système sans école privée, il y aurait encore un ratio élevé d'élèves ou étudiants par enseignant.
  • Et dans un système qui dirait "non au privé", il y aurait encore des élèves qui demandent plus de ressources, car ce n'est pas le privé qui a engendré les cas plus difficiles. Les cas difficiles qui restent au public y étaient déjà. Sauf que logiquement la taille de la classe aurait dû diminuer, ce qui pourrait ne pas avoir été le cas. 


Le coup qui fait le plus mal à ce type d'arguments plus théoriques et socialistes que réels

Et même si la subvention de l'école publique est au prorata des élèves inscrits (nombre d'élèves total de l'école), cela est vrai au privé aussi. Si les classes sont plus réduites au privé, serait-ce parce que ces écoles sont moins lourdes à gérer?


Lectures suggérées :

http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/07/vive-linstruction-libre-ou-pourquoi-le.html

http://www.iedm.org/main/show_mediareleases_fr.php?mediareleases_id=92

On a nationalisé nos enfants!Nathalie Elgrably-Lévy, IEDM et Journal de Montréal, 01 avril 2010
http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=826

Garderie «Les Petits prolétaires»
http://yapasdpresse.blogspot.ca/2011/06/la-petite-chenille-bleue-emprisonnee.html


Mixité à imiter, Jean-Jacques Samson, Journal de Québec, 13 juillet 2010


http://lejournaldequebec.canoe.ca/journaldequebec/chroniques/jeanjacquessamson/archives/2010/07/20100713-093927.html