mardi 24 mai 2011

Syndicats, priez pour nous... : retour sur la politisation des syndicats au Québec

Dans une chronique récente, Joseph Facal a publié un texte qui m'a sérieusement dérangé. Il  affirmait en gros dans son billet "Les absents ont tort" (1), que les entreprises (le patronat) n'ont qu'à se prononcer publiquement elles aussi sur la scène politique pour faire connaître leurs positions et intérêts dans les politiques sociales. Si les employeurs ne prennent pas leur place dans les débats publics, c'est leur problème, selon le vieux dicton à l'effet que "les absents ont tort". Autrement dit, si tu ne te présentes pas au débat, ne viens pas pleurer par la suite. Permettez-moi un retour sur le sujet.

Lorsque j'ai lu cela, ce qui m'a surpris, ce n'est pas la position à gauche du chroniqueur et ex-politicien, mais le compromis volontaire avec la raison, pour un homme aussi intelligent. Les deux arguments tenaient à ceci :

«Je ne suis cependant pas scandalisé de voir les centrales syndicales se prononcer sur des enjeux sociaux qui n’ont pas un lien direct avec la défense des conditions de travail de leurs membres.
D’une part, cette conception large de leur rôle est la norme partout en Occident. Même aux États-Unis, où le patronat ne rase pas les murs comme ici, les syndicats ont vigoureusement appuyé la candidature de Barack Obama.
D’autre part, si le patronat trouve que les syndicats prennent beaucoup de place dans le débat social ou qu’ils influencent trop les politiques publiques, il n’a que lui-même à blâmer pour sa timidité ou son inefficacité. Au lieu de vouloir faire taire les syndicats, il revient tout simplement à ceux qui ne pensent pas comme eux de se faire davantage entendre.» (2)

Autrement dit:
1)  C'est la façon de faire en occident (syndicale vs politique)
2)  Les patrons n'ont qu'à se faire entendre

Le hic, c'est que 
-   l'argent des membres n'a pas de couleur politique et 
- ce syndicalisme dont parle Monsieur Facal est justement au bord de l'éclatement en Occident, parce qu'il ne s'est pas adapté depuis 40 ans et que plusieurs syndiqués ne s'y reconnaissent plus. Comme dans un mariage, vous pouvez gagner tous vos arguments mais perdre l'essentiel. 


Je crois à l'importance de la syndicalisation, mais aussi à la flexibilité. J'y reviendrai possiblement dans un autre article. 
Ne l'oubliez pas : l'argent des cotisants syndicaux n'a pas de couleur politique. C'est que dans le contexte des prélèvements obligatoires à la source (sur la paye) les syndicats ratissent tellement large qu'ils ont des membres de toutes allégeances politiques; ce qu'ils ne doivent jamais oublier.

Je m'explique. La raison d'être des syndicats, ceux du Québec inclus avec droit de prélever des cotisations directement sur salaire est la suivante: représenter les travailleurs qui les paient afin que leurs droits soient respectés et afin de leur procurer de bonnes conditions de travail et des programmes sociaux appropriés. À ce niveau seulement, je suis d'accord avec Monsieur Facal, à l'effet que les syndicats soient tout à fait justifiés de prendre position aux débats impliquant des enjeux sociaux. Il a raison de dire à ce niveau que les employeurs absents du débat ont tort.

Cependant, à partir du moment où les syndicats font de la politique directe (ex. supporter le Bloc Québécois ou le parti Québécois) ou s'ingérer sur toutes sortes d'enjeux et prenant position sur tous les projets, y inclus l'indépendance du Québec, et sans même consulter leurs membres, là les présents ont tort. S'ils veulent faire de la politique active partisane, qu'ils aient une aile politique qui suit les règles du financement électoral. On verra bien le résultat, comme les contributions volontaires et leur discours face à un vote secret et volatile. Par exemple, dès qu'il est question de revoir le fonctionnement du système d'éducation malade, ils s'objectent en quelques heures.

Ce n'est pas le rôle syndical de dire aux travailleurs cotisants aux caisses syndicales, pour quel parti voter. D'ailleurs l'électorat québécois leur a rappelé lors des élections fédérales du 2 mai 2011. Les grosses centrales syndicales, comme d'habitude depuis 2 décennies, se sont rangées derrière le Bloc, avec une certaine arrogance, et ce dernier a été presqu'anéanti. Les leaders syndicaux devraient sérieusement y réfléchir...  Car il y a aussi un  message pour eux aussi dans le Dernier Jugement... électoral.

Démocratie et autonomie des travailleurs

La raison d'être de la démocratie, si c'est ce système que nous voulons encore et non PAS un socialisme à la soviétique (communisme), veut que les travailleurs soient libres de leur opinion politique. Prendre leur argent pour faire de la politique partisane, c'est détourner l'argent des travailleurs à des fins à mon sens illégales. Ce n'est pas parce que ça se fait aux États-Unis que c'est bon. D'ailleurs, la plupart des syndicalistes engagés haïssent le système américain. C'est donc un argument uniquement aux fins de détourner l'attention.

Il faut réaliser que les personnes qui cotisent à un syndicat peuvent être de gauche, de centre et même de droite (du moins tant que nous sommes en démocratie) avec toutes les déclinaisons possibles. C'est le droit ultime à l'urne électorale et au vote secret. Parmi les travailleurs du Québec, se trouvent environ 60 pourcent de fédéralistes, puis des indépendantistes. On compte donc des partisans du parti Conservateur du Canada (PCC), du parti Libéral du Canada (PLC),  du Bloc Québécois (BQ), et on l'a vu, "quelques-uns" aussi du Nouveau parti démocratique (NPD) qui a fait un méchoui du BQ en BBQ sur une braise orange, et d'autres convictions encore.

Fonction publique et partisannerie politique

D'autre part, une partie des "employeurs" sont membres ou s'apparentent à la fonction publique (ministères et agences fédérales ou provinciales, sociétés d'État, commissions scolaires et éducation ou instruction publique, pouvoir judiciaire, employés municipaux, etc.). Or, un employeur public n'a pas droit au chapitre de la politique partisane, parce qu'il se finance de l'argent de tous les contribuables. De même doit-il en être des syndicats de la fonction publique ou apparentée. Imposer ou suggérer fortement une ligne électorale aux employés de la fonction publique et ceux apparentés serait donc logiquement illégal ou inapproprié. Au même titre, un syndicat de la fonction publique fédérale ou provincial ne peut dire à quel candidat député et candidat premier ministre donner son suffrage.

Les syndicats sont utiles à ce pour quoi ils sont payés : être une association pour les droits et privilèges des travailleurs regroupés

J'ai passé grosso modo à ce jour la moitié de ma carrière en milieu syndiqué et l'autre en milieu non syndiqué. 
Et j'ai toujours détesté entendre certains syndicats dire pour quel parti voter, d'autant que ce n'est pas leur rôle. Ils font exactement ce qu'ils ont reproché à l'Église catholique d'une certaine époque : dire pour quelle "couleur" voter aux élections et s'approprier les consciences individuelles. Un peu comme les chiropraticiens, ils prétendent avoir la solution à tous les maux (de société). Syndicats, priez pour nous! Sauf que le 2 mai, ils ont vu que l'enfer peut être bleu-pâle (BQ) et que le ciel prend parfois une couleur de braise ou orangé (NPD).

Pensée  : C'est toujours risqué, pour l'avenir du syndicalisme au Québec, de prendre position pour un parti souverainiste, quand plus ou moins 60 pourcent des travailleurs sont fédéralistes et quand certains syndicats ont des accointances douteuses avec les "neveux" du "parrain". Ce coup-ci ils auraient dû se garder une petite gêne.  Ils ont aidé à couler le Bloc.

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1.  Joseph FACAL. Les absents ont tort. Journal de Québec. Mercredi 18 mai 2011, p. 19.
2.  Voir le billet sur le blogue de Joseph Facal.