lundi 24 octobre 2011

La commission du petit cochon huilé

La Commission d'enquête1 sur la corruption n'a pas encore la tête sortie de la matrice du PLQ et elle a connu de nouveaux rebondissements dans la salle d'accouchement politique en fin de semaine avec le congrès libéral tenu à Québec. Décision annoncée mercredi de ne pas contraindre les témoins, et contre-décision vendredi, de contraindre les témoins, si la commissaire, l'Honorable France Charbonneau, le juge nécessaire... Mais une telle requête de contraindre un témoin, devra obtenir l'aval préalable du Premier ministre (PM) Libéral, au cas par cas ou un témoin à la fois. Ouf! Voilà une naissance difficile pour cette commission.


Le PM a dû faire un peu de limbo sous le Barreau du Québec en fin de semaine. Une commission "sur invitation" sans aucun pouvoir de contrainte, c'était rire des contribuables québécois, du droit et de la justice. Il a donc augmenté légèrement le degré de difficulté des témoins de la commission sur la corruption dans la construction et aussi pour le parti Libéral du Québec (PLQ). La commissaire pourra contraindre les témoins, avec l'accord du parti par qui le scandale arrive... Malgré tout, certains témoins risquent d'être aussi difficiles à attraper que le petit cochon huilé de ces courses comiques des anciennes foires.

Sagesse politique (dans le contexte)

Parmi les textes démontrant une sagesse sous forme très synthétisée sur ce qui a été dit sur cette commission, se trouve certainement ce qu'a résumé en ces termes, le chroniqueur Jean-Luc Mongrain, dans le Journal de Québec / Journal de Montréal et titré Le singe sur les épaules :

«La balle est maintenant dans le camp de la commissaire Charbonneau. C'est elle qui devra ou non demander au gouvernement le pouvoir de contraindre. Si elle le fait, elle aura un appui de taille, celui de la population. Sinon, elle risque d'être qualifiée de simple courroie de transmission du gouvernement, un peu comme l'a été le juge Bastarache. Le piège, avec un mandat comme celui-là, c'est que quelles que soient la longueur et la qualité de son C.V., la commissaire porte aujourd'hui le poids de l'opinion publique en lieu et place du premier ministre»2.


Comment ne pas être d'accord avec cette lecture des faits? Encore une fois, cela confirme la grande habileté politique du PM du Québec de sortir indemne de toutes les invraisemblances possibles ou inimaginables.

Autre déclaration plus que sensée, dans le contexte, cet extrait d'un communiqué du député Stéphane Bergeron:

« La juge Charbonneau n’a pas à se mettre à genoux devant le premier ministre pour demander une modification du décret, cette responsabilité incombe à Jean Charest. S’il est sérieux, il modifiera, dès mercredi prochain, le décret du Conseil des ministres pour donner à la juge France Charbonneau le pouvoir de contraindre des témoins. Il faut suivre la Loi sur les commissions d’enquête ». C’est ce qu’a déclaré le député de Verchères et porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique, Stéphane Bergeron, réagissant à la déclaration du chef libéral faite hier dans le cadre du congrès des membres du Parti libéral du Québec.3

Une créature étrange

En décrétant cette commission majeure
  • sans prendre appui sur une loi,
  • en ne donnant pas de contrainte à témoigner mais un pouvoir qui ressemble à une approche discrétionnaire,
le PLQ engendre une créature ou bête politiquement et judiciairement "transgénique" et bizarre. On n'est plus dans le domaine du connu, mais plutôt de la R&D (recherche et développement) politico-judiciaire, que même des spécialistes qualifient de "droit nouveau". Cette sorte de "nowhere land" juridique peut logiquement ouvrir la porte à tout et son contraire en matière de méthode, de contestations, d'avis et contre-avis, de suspension des auditions, et le reste. Un parti qui voudrait gagner du temps ne ferait pas mieux.

Pouvoir discrétionnaire et une commission non appuyée sur une loi

Un pouvoir de contraindre à témoigner seulement si on le juge nécessaire, voilà ce qui ressemble à un pouvoir discrétionnaire d'un fonctionnaire de l'État et du gouvernement, donc logiquement contestable devant les tribunaux. Déjà jeudi dernier, donc avant l'apparition de ce pouvoir de contraindre ici et non là, l'avocat bien connu, Me Jean-François Bertrand, donnait ce qu'il qualifie d'un simple "avis brut en droit". Me Bertrand avait déclaré aux journalistes, que le pouvoir et les décisions de cette commission non appuyée sur la loi sur les Commissions d'enquête, risquaient d'être contestés devant les tribunaux:

«Lorsqu'il adopte un décret, le Conseil doit le faire en vertu d'une loi et ne peut pas le faire dans le vide comme ça. Est-ce que le décret est légal? C'est ça la question. C'est la première question que je me suis posée. Ça m'a sauté aux yeux».
[...]
«Si quelqu'un allait en cour et intentait une requête en nullité du décret, il y a des bonnes chances que ça soit annulé»4.

Du "droit nouveau"

Et voilà qu'un avocat et enseignant, spécialiste en matière de droit administratif, allait dans le même sens. Me Denis Lemieux, professeur en droit administratif à l'université Laval, n'osait cependant pas parler d'illégalité de la commission, mais a donné en partie raison à Me Bertrand et autres juristes qui se posent des questions:

Questionné sur la légalité de l'exercice, le professeur en droit administratif à l'Université Laval, Me Denis Lemieux, a rappelé lui aussi qu'un «décret doit toujours s'appuyer sur une loi».
          Or, le décret 1029-2011 du gouvernement Charest, qui tient sur trois pages, n'a pas été bâti en s'appuyant sur la Loi sur les commissions d'enquête, ni aucune autre loi. Plusieurs juristes ont d'ailleurs évoqué cet aspect de «droit nouveau».
          «Il y a des décisions du conseil des ministres, ça, c'est une chose, et il y a des décrets. Mais quand on parle de décret, il doit y avoir un fondement législatif. S'ils ne mentionnent aucune loi, ça serait plutôt une décision du conseil des ministres», a ajouté Me Lemieux. Dans un tel contexte, l'appellation «décret» peut être «fallacieuse», a-t-il soutenu.
          Toutefois, le professeur ne va pas aussi loin que Me Bertrand. «Techniquement, ça n'empêche pas le gouvernement de créer une telle commission sans pouvoir de contrainte. Ce n'est pas nécessairement illégal, mais c'est impropre d'utiliser le mot décret», a-t-il précisé.5

J'aime le mot "impropre" et ses nuances... C'est ce qu'on enseigne aussi dans les cours de formation de base en droit en matière de lois et de règlements.  Le pouvoir discrétionnaire est normalement déconseillé, sauf exception. Une question demeure donc : pourquoi le PM n'a-t'il pas simplement appuyé le décret sur une loi. La réponse dont tout le monde se doute, appartient probablement aux tribunaux, avec des réponses dans un certain nombre d'années, sinon aux historiens de demain.

Imminuté des témoins 

On a appris aussi par les grands médias que les témoins contraints à témoigner ne pourront être poursuivis sur la base d'information livrée dans les témoignages. Est-ce normal ou non? Il faut être un spécialiste pour le savoir. C'est peut-être que les enquêteurs de la police doivent de toute façon établir la preuve, indépendamment de la commission.


Attraper le cochon huilé

Le "droit nouveau" auquel contribue cette nouvelle commission-évènement, peu après la commission Bastarache sur la nomination des juges au Québec, me fait penser à ce genre de course "folk" pour attraper, à mains nues, un cochon huilé dans une ancienne foire agricole ou fête champêtre. En bref, voici un sigle que je suggère en le déclinant dans les deux langues (français / anglais) et qui pourrait décrire la commission sur la corruption : AMoiSTP / CMeIYC6Plus sérieusement, je crois que c'en est rendu au point où la police devrait obtenir de mandats de mise sur écoute de membres importants du Parti Libéral, rien de moins.

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1. Gouvernement du Québec. Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction. Décret 1029-2011. 19 octobre 2011, 3 p.
Ce décret daté du 19 octobre 2011 sera amendé pour que la Commissaire en chef puisse contraindre à témoigner au besoin.

2.  Jean-Luc MONGRAIN. Le singe sur les épaules. Journal de Québec, dimanche 23 octobre 2011, p. 17. ET Journal de Montréal.


3.  Stéphane BERGERON. Jean Charest doit modifier le décret et utiliser la loi sur les commissions d’enquête. Communiqué, samedi 22 octobre 2011. Consulté le 23 octobre sur stephanebergeron.org

4. Jean-Luc LAVALLÉE. Des juristes s’interrogent. Une commission d’enquête illégale? Agence QMI, 20 octobre 2011.

5. De la même source.

6.  La commission  AMoiSTP / CMeIYC; "Attrape-Moi Si Tu Peux" / Catch Me If You Can
OU la Commission du petit cochon huilé (concours de course des anciennes foires).