mardi 20 décembre 2011

Négos municipales : une guerre de chiffres s'annonce en 2012

Je crois à l'utilité des syndicats ou des associations de travailleurs et aux normes minimales de travail par classe d'emploi (ex. salaire d'entrée minimal pour un diplômé du post-secondaire travaillant au privé, encore à établir).  Mais je crois aussi à la réalité des conditions économiques. La population va de nouveau assister à un combat entre le secteur municipal et les syndicats des employés municipaux (cols blancs, cols bleus). Dans cette guerre de chiffres, les batteries de canons de chaque camp lanceront les "boulets" de statistiques. Mais il y a quelques faits que la population doit considérer dans cette guerre de comparatifs.

Une guerre de chiffres s'annonce
dans le  monde municipal. Image:
Napoléon Ier. Mais où est le chapeau?
Les syndicats sont-ils allés trop loin dans leurs revendications des deux dernières décennies? Peut-être. Une des guerres qui s'annonce concerne les fonds de retraite. Il y a quelques semaines, des chiffres publiés comparaient la retraite des syndiqués du secteur public versus non syndiqués. Les seconds étaient désavantagés. D'un autre côté, il n'a peut-être pas été assez souligné que ceux qui n'ont pas d'argent de côté pour leur retraite peuvent être en partie responsables de leur situation.

Combien un employé du privé non syndiqué cotise-t-il personnellement (son sacrifice personnel) pour son fonds de retraite? 

Un employé régulier du secteur public, même avec un salaire de 30,000 ou 35,000 dollars par année, est contraint de cotiser en plus du régime de la Régie des rentes du Québec.

Pour un ordre de grandeur : dans une municipalité, un employé technique (équivalent à un technicien senior du privé avec plusieurs années d'expérience) gagnant env. 50,000 dollars bruts par année, cotisait en 2011 à hauteur de plus de 110$ par semaine à son fonds de pension, en plus des cotisations aux régimes publics comme celui de la RRQ.

Question : À quelle hauteur obligatoire cotisait au même moment un employé du privé non syndiqué qui critique le système public? Zéro obligatoire. Pourtant, tout le monde devrait cotiser à un minimum de 10 pourcent sur chaque paie, en vue de la retraite tout au long de sa vie active. Donc, une partie du problème est là. Beaucoup de travailleurs devraient mettre moins d'argent dans les télécommunications et divertissements électroniques. Est-ce normal, de même, que l'on trouve 200$ et plus par mois pour les télécommunications (câble, TV, internet, cellulaire et tablettes), bref pour du code, du data, mais rien pour la retraite? Et ceci sans compter les portables souvent les plus dispendieux, les cinémas maison, et le reste.

Le déficit des fonds de pension en partie dû au congé de paiement de certaines villes

Certaines villes oublient aussi de dire que durant les années de meilleurs rendements des fonds de pension des employés, elles n'ont pas contribué, parce que les rendements étaient meilleurs que prévus. Maintenant la marche est plus haute et elles ne veulent plus assumer une partie du déficit. Le manque à gagner n'est donc pas dû qu'aux seules pertes en bourse, mais aussi au retrait de l'employeur, dans les années de bons rendements des placements.

Les critères d'embauche et la scolarisation dans le secteur public

Autre fait, les travailleurs de la fonction publique qui sont des cols blancs et qui occupent une fonction technique ou administrative ont généralement au minimum un diplôme d'études collégiales (DEC) ou un baccalauréat universitaire. On parle par exemple des emplois administratifs (comptabilité et paye, secrétariat et bureautique), ou de divers emplois techniques (informatique, génie, aménagement du territoire, géomatique, graphisme et infographie, technicien en environnement, inspecteur municipal, etc.). 

Il est donc tout à fait malhonnête de comparer la moyenne québécoise, tous types d'emplois confondus à une moyenne d'employés du secteur public dont l'emploi requiert généralement au minimum le DEC ou une spécialisation.

C'est malhonnête, parce que beaucoup de gens peu salariés, exemple dans les boutiques, ne sont pas allés au delà des études de niveau secondaires ou sont encore aux études. C'est aussi comparer des emplois du secteur public avec des emplois reliés au commerce, au tourisme et à la restauration qui ont souvent des horaires atypiques (irréguliers). Par exemple, le commis d'un commerce grande surface ou d'une pharmacie ou le caissier d'un restaurant fastfood qui travaillent 28 heures par semaine sont mis sur un même échantillon de comparaison qu'un technicien de la fonction publique spécialisé et diplômé qui travaille 35 heures ou plus. Je ne parle même pas ici des professionnels (ex. ingénieurs, arpenteurs-géomètres, urbanistes, etc.).

Bref, les emplois spécialisés qui requièrent au moins le DEC avec expérience sont sur-représentés dans le secteur public, si on le compare à la population en général. Pour être honnête, il faudrait comparer des comparables (ex. les techniciens du secteur public avec ceux des firmes embauchant des techniciens, etc.). Et il faudrait comparer les villes de 50 ou 500 employés, non pas avec une entreprise à propriétaire unique à 3 ou 4 employés temporaires, mais avec des entreprises avec un nombre raisonnable d'employés réguliers et dans des villes comparables du Québec (entreprises dans le même contexte régional).

Pas d'études supérieures pour les bleus?

On répondra que les cols bleus n'ont pas toujours leur DEC (3 ans d'études spécialisées post-secondaires). C'est probablement vrai dans nombre de cas. Sauf que le genre de travail s'apparente alors plutôt au secteur de la construction (opérateur de machinerie, contremaître, chauffeur de camion, travail sur les chantiers et en tranchée, instrumentation et contrôles, etc.); donc un secteur privé syndiqué et bien rémunéré. 

On argumentera que le secteur de la construction est, puisqu'on en parle, aussi trop rémunéré pour nos moyens et que notre modèle québécois est un modèle que les autres pays ne suivent pas. Réponse : c'est tout un débat social en soit, dans lequel il ne faudrait pas oublier quelques données d'entrée:
  • la nécessité de contrôler les compétences et l'expérience si on modifie l'industrie de la construction
  • le contexte de normes bien précises qui devraient être quand même respectées (ex. les divers codes nationaux -normes- de la construction, le code d'électricité, le code de plomberie, les plans et devis des professionnels, etc.). Ce n'est pas n'importe quel castor-bricoleur qui peut s'improviser constructeur de maisons, d'édifices commerciaux, industriels et publics, de ponts et viaducs, de routes, d'infrastructures municipales, etc. Il faut plus que des chefs; il faut de la main d'oeuvre compétente et qualifiée (autonome).
  • La spécialisation de bon nombre de corps d'emplois dans le secteur de la construction (opérateurs, soudeurs, électriciens, plombiers, menuisiers, hommes d'instrument-arpentage, couvreurs, travailleurs  en ventilation, chauffage et climatisation, etc.);
  • et tenir compte de conditions particulières (horaires exigeants et irréguliers, risques d'accidents et de blessures plus élevés,  intempéries, etc.)
  • sans oublier, pour plusieurs, le changement fréquent de lieu de travail et assez souvent l'absence du foyer en semaine, 
  • les mises à pied temporaires de durée indéterminée, mais fréquentes dans le domaine de la construction (d'où la paye de vacances bonifiée).

Il faudra bientôt s'assumer :  2 - 1 = 1
ou : le lien entre les dépenses et les services

Il est utopique de penser que le secteur public pourrait couper de façon importante et conserver les mêmes services aux citoyens. Si le contribuable décide de contribuer à hauteur d'un service de quantité et qualité moyen, au sens d'acceptable, il doit aussi accepter qu'à terme (ex. dans quelques années), il ne pourra recevoir les même niveaux de services. Cela, même les leaders politiques les plus sûrs d'eux n'osent pas mettre leur chapeau pour le dire, car une telle confession aurait un impact politique direct sur les votes, alors qu'il est facile de coller l'étiquette de la dette et des déficits à un groupe particulier et non pas aux promesses et extravagances du milieu politique.

Le calcul est fort simple. Supposons que vous avez deux postes et que vous les remplacez par un seul (par attrition ou autrement), vous ne pourrez produire le même travail. Ce n'est pas politique, c'est mathématique. Ceci est vrai même dans le cas où il y aurait 2 fonctionnaires qui n'auraient pas toujours une pleine charge à chaque heure de la semaine; par exemple, si un fonctionnaire donné a 90% d'une charge pleine et un autre 80% (donc 90%+80% = 170% ou 1,7 tâche-personne). Si une seule personne doit cumuler les deux fonctions après un départ à la retraite, par exemple, elle devra produire 170% ou 1,7 fois la tâche requise.  Il y a donc des choses qui ne se feraient pas comme avant. Dans les faits et de plus en plus, la plupart des employés des municipalités bien gérées ont déjà 100% d'une tâche. 

N'allez pas croire que le transfert au privé compenserait comme par magie, car au privé, ce qui est réduit en salaires, est généralement récupéré dans la colonne de chiffres des profits et administration. Les entreprises privées, contrairement au secteur public, ne sont pas des organismes sans but lucratif. Au contraire, les actionnaires du privé demandent des rendements pour leurs placements à eux. Et les patrons veulent des Audi  et des Mercedes ou BMW et comparables.

De plus, il est bien connu que nombre de tâches du privé réalisées à contrat sont à terme, "corrigées" (ou compensées) par les travailleurs du secteur public en fonction (ex. les livrables non conformes qui finissent par être complétées par le secteur public, les nécessaires surveillants de surveillants, la gestion publique des plaintes contre le travail exécuté par le privé et les travaux correctifs appliqués par le public 2 ou 3 ans après livraison, le surplus de recherche pour compenser des données incomplètes, etc.).

Lorsque j'étais dans une certaine fonction au gouvernement, j'ai eu connaissance du fait que des produits et services livrés non conformes de manière répétitive pour un même contrat (retour, corrections, retour, corrections, ...), étaient souvent complétés à la norme par le personnel technique qualifié du ministère concerné (équivalent de compétence de techniciens intermédiaires ou seniors). Pourquoi? Parce que dans son contrat, l'entreprise privée estime un certain nombre d'heures qu'elle réduit pour abaisser les coûts et obtenir le contrat. Passé un certain volume de travail, elle ne fait plus de profits. Elle finit par ne pas être capable d'atteindre les normes fixées à l'intérieur du budget contracté, à moins de travailler à perte. C'est là que le secteur public (gouvernement, municipalités et villes) corrige après coup. Donc le coût réel des travaux est faussé. Une alternative qui consisterait à donner le travail à l'heure, génère quant à elle, souvent ce que l'on veut éviter; surfacturation, double facturation, etc. Pensez seulement aux centaines de millions de dollars investis pour l'informatisation des dossiers médicaux des patients, par le privé, mais sans résultats tangibles et avec des délais de livraison qui se calculent maintenant en décennies entre l'attribution des contrats et la livraison finale.

La privatisation de certains services

Peut-on privatiser certains services? Cela se fait déjà. Mais il faudrait être conséquent pour la privatisation de nouveaux volets de services. Autrement, dit c'est le privé qui devra assumer ce que l'on peut appeler "le service après vente", incluant les coûts des correctifs. La chaussée construite il y a 5 ans est déjà pleine de lézardes et de nids de poules? Pas de problème, le privé a obligation de maintenir la qualité de ce qu'il a livré et de gérer les plaintes qu'il génère. Je crois que nous comprenons ce que cela implique. Les coûts du privé seraient automatiquement révisés à la hausse pour assumer sa portion de responsabilités (on aurait les coûts réels du privé). On exigerait un dépôt significatif pour compenser la cessation des activités, la faillite, etc. En plus, il faut le répéter, les entreprises privées doivent générer des profits intéressants pour leurs actionnaires, alors que le but du secteur public n'est pas de réaliser des profits.

La mondialisation des marchés et la mondialisation de la pauvreté

Lorsqu'on mélange des systèmes non compatibles, il en résulte toujours des problèmes ou des incohérences. La mondialisation à tout prix est une vue de l'esprit; une mode économique qui sert quelques-uns, mais pas les travailleurs des économies occidentales. Les pressions sur la main d'oeuvre occidentale pour des salaires à la baisse proviennent pour une certaine partie des pressions suscitées par l'exportation des emplois vers des populations exploitées, ou à l'inverse, les déplacements de main d'oeuvre en masse pour faire baisser les salaires dans les pays d'accueil (augmenter l'offre de travailleurs pour faire baisser les salaires).  Vous ne le saviez pas? Les syndiqués doivent dans un tel contexte être conciliants et se contenter de ce qui est nécessaire, mais en même temps, ils ne doivent pas être dupes. Les contribuables qui perdent leur emploi ou voient leur salaire coupé devraient considérer ceci et non pas en premier la fonction publique. Ont-ils seulement remarqué que les chaussures fabriquées à l'étranger nous reviennent tout aussi cher qu'elles nous coûtaient quand elles étaient fabriquées au Canada ou en Amérique du Nord ou même à Québec?

La réorganisation des économies régionales mises en vases communiquants par des règles imposées, change les anciennes règles. La tendance actuelle est à la mondialisation de la pauvreté. Lorsqu'on parle à un Africain et qu'on lui dit qu'au Québec, une famille qui a un revenu annuel de 20,000 dollars est pauvre, il ne comprend pas. Pour celui qui gagne 150 dollars par mois, nous sommes menteurs. Ou encore, il croit que nous nous plaignons. Quand il vient vivre ici, il comprend, du moins il comprend, dès qu'il ne vit plus dans un HLM et qu'il arrive à la fin des programmes d'insertion et quand il commence à assumer ses factures de chauffage, électricité et gaz à son propre nom. En Inde, un ingénieur en informatique qui gagne 14,000$ US par année (pour produire des logiciels) est riche et peut se payer une maison et une automobile. Ici, avec ce salaire pour faire vivre une famille, vous devrez recourir aux banques alimentaires d'entraide, aux fripperies de vêtements usagers, vous fouillerez les bacs de recyclage et de récupération pour améliorer votre situation en retournant des bouteilles consignées. Il faut toujours comparer des comparables.

La réflexion vaut le travail

Avant de couper, il faut souvent aussi se demander si on ne peut pas faire les choses différemment. Comme le dit l'adage, «la réflexion vaut le travail». Et j'ajouterais que la réflexion peut permettre d'éviter de se laisser "bourrer".

Tout n'est pas si simple... et où est le chapeau?

Quand comme contribuables vous entendrez les batteries de chiffres pilonner le champ des médias, souvenez-vous que tout n'est pas si simple. Et demandez-vous pourquoi les élus ne vous diront jamais qu'ils devront affecter les services, en quantité ou qualité, s'ils coupent 1 poste sur 2. Ils mettent leur chapeau de chef, quand ça fait leur affaire. Mais quand cela risque de coûter des votes, ils se taisent et se retirent dans le confort du bureau pour la photo, ou pour la pose pour l'artiste-portraitiste.

Bref, c'est une guerre... de chiffres et les "méchants" ne sont pas d'un seul côté.

Pensée : Réfléchir est un premier petit pas vers la sagesse. Avant de scier la branche des services publics, assurez-vous que vous n'êtes pas assis dessus. Car au Québec, même lorsqu'un service n'est plus disponible à une partie de la "clientèle" (ex. non-accès à un médecin de famille pour 2 millions de Québécois), vous payez quand-même pour ce service (presque la moitié de vos impôts et taxes vont au système de santé). C'est ici une partie des particularités du "modèle" social-démocrate québécois. Et cela peut s'appliquer au monde municipal aussi. Par exemple, nous payons pour le transport en commun (subventionné à plus de 65%), et ce, que nous l'utilisions ou non. Nous payons pour le déneigement des trottoirs, que celui de notre rue soit déneigé ou non; et ainsi de suite. Si l'on coupe des services sur une partie du territoire, les citoyens non desservis paieront quand même pour ces services maintenus dans d'autres secteurs. Et n'oubliez pas: le privé doit non seulement faire ses frais, mais aussi réaliser des profits. Sinon, qui deviendrait actionnaire d'une entreprise, si c'était pour changer un dollar pour un dollar? C'est une partie de la raison pour laquelle le recours au privé n'implique pas automatiquement la réduction des coûts.