vendredi 8 juin 2012

Guy Turcotte et Valery Fabrikant: un profil ressemblant

8 JUIN 2012. Dans l'acquittement de Guy Turcotte par jury, pour non-responsabilité pour le meurtre de ses deux jeunes enfants poignardés à 46 reprises (!) en février 2009, et pour sa remise en liberté progressive à peine trois ans après les faits, je ne peux m'empêcher de penser à un autre cas: Valery Fabrikant. Certains se souviendront de cet autre professionnel, un ingénieur mécanique qui, lui aussi dans une rage meurtrière passagère et potentiellement dans une dépression du même genre, avait abattu en 1992, des collègues de l'Université Concordia de Montréal au Canada. 

Les cas se ressemblent:
  • Les deux sont des professionnel; l'un est docteur en médecine (chirurgien cardiologue), l'autre docteur en génie mécanique et chercheur
  • Les deux sont compétents et reconnus au moment de leurs actes criminels
  • Les deux se sont sentis lésés, l'un par sa femme qui le trompe avec un ami, l'autre sur une question de droit professionnel (se dit victime de vol de la propriété intellectuelle)
  • Les deux perdent le contrôle et tuent plus d'une personne dans une rage meurtrière, en possible lien avec une dépression ou une pathologie.
  • Le psychiatre Louis Morissette a présenté une interprétation en faveur de l'accusé dans les deux cas (Journal de QuébecWikipedia), comme dans celui d'autres criminels(elles) notoires (1). 

Valery Fabrikant, 1992. Crédits photo:  Journal
La Presse (Archives).
Mais Valery Fabrikant est toujours en prison. Fait plutôt inusité dans les circonstances, l'excentrique Fabrikant avait assumé sa défense lui-même (!) ce qui lui a certainement nui considérablement. Je ne comprends pas comment cet homme a pu se défendre lui-même et pourquoi on ne lui a pas assigné d'office un avocat. Le chirurgien Guy Turcotte, quant à lui, sera totalement libre dans probablement moins d'un an.

Bizarre la justice, parfois

Je crois que dans certains cas, lorsqu'un verdict repose (tendance forte de la défense) sur une interprétation de santé mentale, de simples citoyens jurés ne sont tout simplement plus aptes à trancher.  C'est très différent d'une empreinte, d'un relevé de téléphone ou d'une preuve génétique (ex. ADN du sang sur les lieux du crime ou de la peau de l'assassin sous les ongles de la victime, etc.) lesquelles sont des données mesurables. Seule l'interprétation des données et les témoignages, relèvent en partie du subjectif.

Mais lorsque l'incertitude repose totalement sur un degré de santé mentale, cela présente, on l'a vu, une large marge d'erreur dans certains cas (ex. particulièrement en l'absence d'historique connu en matière de maladie mentale pour la personne). Le diagnostic peut même aller jusqu'à la contradiction totale entre les témoins spécialistes. Comment devant une contradiction de professionnels sur des questions de santé mentale, les jurés qui sont de simples citoyens pourraient-ils ne pas opter pour le doute raisonnable sur la question de la responsabilité psychologique?

Paradoxe: il faut l'unanimité pour condamner mais pas pour libérer

Comme certains, peut-être son ex-épouse, l'ont souligné cette semaine, dans un procès il faut l'unanimité pour condamner les cas semblables à la prison, mais une simple majorité pour leur libération dans la société en cas de non-responsabilité mentale... Comment ne pas éprouver des difficultés avec cela et avec l'impression que les jurés sont démunis, face à des diagnostics contradictoires sur ces questions de santé mentale? Il est presque certain alors qu'ils vont tendre à opter pour le doute raisonnable et le sujet ira en institut psychiatrique pour être possiblement libéré beaucoup plus tôt.

Serait-il possible que la question de la responsabilité mentale se règle par un comité d'experts?  

Sincèrement, ne devrait-on pas revoir les règles, pour la question de responsabilité mentale? Serait-il possible, par exemple, que la question de la responsabilité mentale se règle par un comité d'experts?  L'idée n'est pas de moi, mais cela semble tomber sous le sens. Les psys ne se retrouveraient plus alors devant un client avec presque une commande (le psy payé par la défense, le psy payé par la couronne). Les spécialistes seraient placés devant une évaluation de nature psychiatrique, donc approche plus neutre. Y aurait-il plus ou moins d'erreurs judiciaires? Peut-être qu'il y aurait encore des divergences, car la psychiatrie n'est pas une science exacte et elle dépend d'écoles de pensée très différentes. Mais la décision ne serait plus entre les mains de jurés sans compétences psychiatriques.

Par contre, chose certaine,
1)  on réduirait le risque d'un diagnostic orienté (biaisé) en abolissant la notion de client et en faisant en sorte que les spécialistes soient rémunérés sans savoir qui ils représentent (défense ou couronne?) et avec les coûts partagés par les parties. La défense et la couronne (poursuite) auraient accès aux mêmes rapports et résultats d'expertises complémentaires.
2) Et autre chose certaine, pour la question de la responsabilité psychologique (distincte de la question de l'identité du meurtrier), les jurés ne sont définitivement pas aptes à trancher puisqu'il ne s'agit pas de données exactes, comme les preuves scientifiques mesurables le sont.

Surtout, il faudrait idéalement reprendre ce procès Turcotte (est-ce possible plus de trois ans après un premier verdict?). Car il y a un risque énorme que le moindre doute à l'avenir, amène des jurés sincères, à favoriser la remise en liberté à court terme de monstres ou d'humains défectueux, pour les protéger d'une éventuelle erreur judiciaire.

Autres billets :

Nouveau procès pour le Dr Guy TURCOTTE (nouveau JECKILL & HYDE)

(14 novembre 2013)

Guy Turcotte, bon doc, bad doc? (5 Juin 2012)
http://yapasdpresse.blogspot.ca/2012/06/guy-turcotte-bon-doc-bad-doc.html

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1.  Toujours selon le Journal de Québec, le psy a aussi évalué d'autres criminels célèbres, tels Karla Homolka en 2005, concluant dans son cas, qu'elle ne présentait pas un plus grand risque de récidive que les autres détenues.