lundi 13 janvier 2014

Haïti: pour une reconstruction rapide? OUI mais COMMENT?

ARTICLE REFONDU, depuis un article initialement publié le 28 août 2010 : Reconstruire Port-au-Prince: comment agir
Un pays ébranlé par le chaos d'avant
et d'après le séisme du 12 janvier 2010

(Dernières révisions : 
28 août 2010
17 janvier 2011
13 janvier 2014
19 janvier 2014)

On peut tous être pour la reconstruction plus rapide de Port-au-Prince; cela va de soi. OUI MAIS COMMENT???
Poser la question c'est accepter de devenir «suspect», voir même de passer pour raciste, alors que j'aime Haïti que j'ai déjà visité. La publication sur les réseaux sociaux du lien vers la refonte de mon texte après trois ans et demi, m'a valu des doutes de la part d'une amie, comme si j'étais un homme au cœur dur. Voir à ce sujet : Haïti et reconstruction de la capitale: des questions à poser (15 janvier 2014)
http://yapasdpresse.blogspot.ca/2014/01/haiti-et-reconstruction-de-la-capitale.html
Actuel drapeau d'Haïti, adopté de nouveau
en 1986, après la chute du régime Duvalier. 
Dessiné par Alexandre Pétion en 1806. 
Pour un historique des drapeaux : 

Faut-il reconstruire le même Port-au-Prince pour la partie la plus durement frappée par le séisme de 2010? Je n'en suis pas convaincu. De quoi je me mêle, direz-vous? Dans la jeune vingtaine, j'ai séjourné et voyagé du nord au sud et d'est en ouest durant 2 semaines en Haïti avec un groupe de Canadiens. J'en ai déjà une meilleure idée que la plupart des Québécois. J'ai développé du coup, un attachement avec ce pays. Et quelle est ma compétence en la matière? Au Québec, J'ai occupé certaines positions d'autorité, comme chef d'équipe, comme membre ayant siégé à des comités et en fonction de direction d'un organisme sans but lucratif. Cela m'a permis d'expérimenter divers approches et styles de leadership: démocratique, hiérarchique ou mixte. Chaque modèle de leadership a ses forces, mais aussi ses faiblesses.

Je vous dirai simplement ce que je pense. La solution haïtienne n'est pas dans l'étude des 200 dernières années de fiasco politique. Pas besoin de faire étendre Haïti sur le sofa du psychanalyste et de remonter à sa naissance. Tel que je le soupçonnais dans un billet en début d'année 2010, Haïti n'a pas un cadastre en règle adaptée aux nouvelles réalités. Certains droits tiennent à une lettre qui peut théoriquement être rendue caduque par un autre document que possède un autre porteur de document. Imaginez la seule problématique pour établir correctement les droits de propriété. C'est impensable. Ils faut procéder différemment. Dans certains cas, le propriétaire du site est mort ou déplacé (certains sont partis à la campagne) et difficilement trouvable; peut-être même incapable de prouver son droit de propriété (!). Comme si ce n'était pas assez, les registres civils des naissances et décès sont incomplets (...) Comment pensez-vous gérer les droits de succession en pareil cas? 

Oubliez les comités traditionnels

Et la gestion par comités démocratiques traditionnels serait extrêmement fastidieuse. Si on utilise une telle structure (comités de fonctionnaires et d'élus) pour reconstruire la capitale, ce n'est pas 20 ans qu'il faudra, mais beaucoup plus. Quand ce sera terminé, les besoins auront déjà changé et les solutions seront en voie d'être dépassées (ex. circulation, transport, logement, urbanisme, etc.).

La situation d'Haïti en est une de crise, comme l'Europe après la Deuxième Guerre mondiale. Il faut donc un consensus général, oui, mais dans les grandes lignes et doublé d'un maître d'oeuvre efficace; une sorte de cellule de crise avec les pouvoirs associés. Je parle d'une structure pour le volet matériel et probablement une autre pour le social, le politique et l'économie (celle-là plus politique).

Les situations de crise se prêtent mal aux comités démocratiques conventionnels

Une parabole contemporaine
Les situations de crise se prêtent mal à la démocratie conventionnelle. Je vous propose une illustration de l'impossibilité de la démocratie traditionnelle dans certaines situations critiques, dans ce qu'on peut appeler une parabole contemporaine:  Une excursion de kayak de mer a failli tourner en tragédie il y a quelques années dans un parc national (Bic) près de la ville de Rimouski au Québec. Un pourvoyeur de services organisait des excursions avec un guide. Un matin, lorsqu'une tempête de vent annoncée par la météo maritime à la dernière minute, accompagnée de vagues abruptes a surpris des clients excursionnistes et que leurs kayaks se sont tous renversés, le salut de ces gens s'est trouvé dans le pouvoir et la réaction du leader. Lorsque les kayakistes étaient dans l'eau et que ces personnes commençaient à souffrir d'hypothermie, la situation ne se prêtait pas à la démocratie. Le guide a pris en charge les opérations, et le groupe s'est soumis à ses directives. Aucune vie des novices qui ont tous chaviré ne s'est perdue.

La solution ne passait pas par une rencontre de comité conventionnelle. Voilà ce qu'il faut en Haïti et dans la capitale : un groupe de gestion de crise formé de leaders multidisciplinaires expérimentés, une sorte de "vétérans", supportés et surveillés par des "démocrates" (lire : les élus ou mandataires d'Haïti et des pays aidant), mais un groupe stratégique non sous contrôle direct de ces élus ou délégués, ni selon la méthode conventionnelle des comités ou des politiques portées vers le clientélisme.

Autrement, le pays en sera encore aux tables de comités en 2020. Comprenez-moi bien. Je ne dis pas qu'il faille une force d'occupation militaire, mais plutôt une cellule de gestion de crise, du genre de celles qui se mettent en branle, par exemple à la NASA, lorsque ses missions sont confrontées à des urgences (ex. lors de la mission Appollo 13). Sinon, les déchirements ou luttes de pouvoir seront incessants entre les partisans de Préval,  les nostalgiques de Duvalier, les pro-Aristide, les criminalisés, les syndicats, etc.

Ne nous y trompons pas, si la crise est gérée selon le mode des comités démocratiques conventionnels OU avec cocktails et hôtels de luxe et des congrès nécessitant des mois de préparation, oubliez la reconstruction en moins de 20 ans, sinon la reconstruction tout court. Il faut des gens prêts à donner quelques années d'engagement, dans un confort acceptable, avec des congés de séjours périodiques dans leur pays de résidence permanente (ex. 3 mois de retour au pays par année avec rotation des responsables), mais pas le jet set.

Voici un exemple de la forme que cela pourrait prendre:
  • Un village temporaire de maisons mobiles climatisées finies adéquatement avec services et commodités.
  • Un chef de mission (poste en rotation), assisté d'un second et d'un troisième, selon un ordre hiérarchique connu dès le départ, en cas d'inaptitude du premier à occuper la fonction ou d'absence ou de son départ. Idéalement, tous recevraient le même salaire pour éviter toute mésentente à ce niveau. Et il y aurait évidemment délégation de tâches et responsabilités à divers chefs de groupes en lien avec les intervenants. Il pourrait possiblement y avoir une rotation au poste de chef de mission, par l'entrée en fonction du deuxième ou troisième assistant du chef de mission, qui devient à son tour l'autorité suprême en cas de dilemmes, imprévus (accident, départ ou démission), ou suivant un calendrier des retours de congé au pays, etc.
  • Et pourquoi pas, ce comité pourrait intégrer des généraux et quelques autres officiers supérieurs étrangers spécialisés en organisation et situation de crises, prêtés au civil en tant que conseillers experts, pour le besoin.
  • Profiter de l'exercice de reconstruction pour former des ouvriers haïtiens sur place en spécialités de la construction, en leur fournissant des mentors pour formation, un peu de théorie et applications en chantier réel.
  • En parallèle, créer une école de formation en construction et rénovation.
  • Les ONG seraient, selon leur spécialité ou domaine d'intervention, coordonnés et aidés (mais non dirigées) par cette cellule de crise (ex. créer le lien entre les gens en besoins spécifiques vers les ONG en fonction de leur spécialité d'intervention, etc.). Vue la crise, il est essentiel d'éviter de faire la même tâche en double ou en triple (dédoublement des efforts). Donc: inventaire des ONG en place, de leurs tâches et actions ou missions déjà en cours et voir comment optimiser leur travail et le coordonner avec la reconstruction. Ces ONG seraient tenues régulièrement informées des projets pour prendre leurs décisions en conséquence.
  • En parallèle à ce comité de gestion des affaires matérielles, un comité davantage composé d'élus prendrait en charge la supervision et coordination des volets sociaux, économiques et politiques pour la stabilité et reconstruction du pays qui était déjà très malade avant la crise générée par le séisme. Ce second comité fournirait les grandes orientations ou créerait la forme (règles, objectifs, zonage et urbanisme, etc.) et le cellule de crise remplirait la forme.
  • Sécuriser / régulariser l'alimentation électrique de Port-au-Prince serait une priorité incontournable à moyen terme.
Je vous suggère cette autre réflexion dont l'importance est sur le fait d'en profiter pour former de la main d'oeuvre haïtienne (construction, rénovation) et ne pas déstabiliser l'économie:



Autres articles de Ya pas de PRESSE (YaPasdPresse) :


Haïti et reconstruction de la capitale: des questions à poser

15 janvier 2014

Haïti : reconstruire l'État (22 février 2010)

http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/02/haiti-reconstruction-de-letat.html

J'Haïti ça la corruption !!! (19 février 2010)

http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/02/jhaiti-ca-la-corruption.html

Haïti : défi de gérer l'urgence (20 janvier 2010)

http://yapasdpresse.blogspot.com/2010/01/haiti-inspire-nous.html


Article externe suggéré :

Les erreurs à éviter pour reconstruire Haïti, Métro (Montréal), 4 mars 2010.
http://www.journalmetro.com/linfo/article/469326--les-erreurs-a-eviter-pour-reconstruire-haiti
(NDLR: Cet article répertorie des exemples de ce qu'il faut éviter, mais pas ce qu'il faut faire. Par exemple, comment coordonne-t-on des centaines d'ONG autonomes ? Comment prend-t-on des décisions rapides et éclairées et les applique-t-on sans verser dans des comités sans fin et improductifs ? Comment les pays donateurs trouvent-ils leur compte sans tomber dans des décisions en défaveur du pays ? Comment transformer les mots en ressources matérielles et humaines ? Comment éviter le gonflement artificiel de l'économie régionale durant les années de reconstruction pour survivre au départ des pays étrangers?)